L'heure est au drame

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Partout le livre profite du covid-19. Il se montre, il fait le beau. C’est magnifique.
Enfin... ça va cinq minutes en fait. Comme si l’humanité avait attendu le covid-19 pour découvrir les vertus d’Oblomov... Mais c’est finalement assez amusant : le livre plastronne en ses bibliothèques photographiées sur FB, sur Instagram et j’en passe. C’est la télé-réalité du livre. Au fond, c’est presque effrayant. (Cette mise en montre rappelle beaucoup le comportement des propriétaires de voitures à grosses cylindrées).
La fermeture des librairies — que certains mal-comprenants voudraient réouvrir malgré les risques sanitaires (un catastrophique sociologue d’IUT Métiers du livre vient de se faire remarquer sur la question) — au nom du Livre ! (bien entendu) —pose une grave question de pérennité d’activité comme elle se pose à des dizaines de milliers de commerçants en France.
Les librairies comme les cinémas comme les théâtres comme les cordonniers comme les buralistes comme les fleuristes comme les marchands de colifichets comme les marchands de vêtements, etc.
Nous ne parlerons ici pas des béni-oui-oui qui ne comprennent pas que vanter en ce moment les « librairies » (ohohoh) de « livres » électroniques revient à pousser un peu plus toute la chaîne du livre vers la tombe (où elle a déjà un genou).
Bref, il semble qu'un peu de décence soit nécessaire pour passer ensemble cette épreuve collective. D’autant que quand on parle d’épreuve, la pire n’est peut-être pas celle que l’on croit : au-delà du problème des loyers-commerciaux-qui-tuent, on redécouvre des attitudes immondes vis-à-vis des personnels soignants qui nous ramènent aux grandes heures de la rue Lauriston (un indice pour les influenceurs : 1939-1945).
Les plaintes de quelques éplorés viennent encore aggraver l’obscénité de la situation. Par exemple, un texte au fond « sectoriel », pour ne surtout pas écrire boutiquier et corporatiste, circulerait, nous dit-on, stigmatisant la presse qui, en publiant des articles sur des livres qui n’ont pas encore pu paraître, ne ‘jouerait' pas le jeu des mises en vente des livres repoussées à cause du confinement... La Mauvaise Presse, bien sûr (pas l’autre). De mémoire de Préfet maritime, ''c’est bien la première fois qu’on reproche à la presse d’écrire des articles sur des livres !’' Depuis notre île, eh bien nous trouvons que cela mérite une palme.
Le confinement finit donc par avoir des aspects plusieurs aspects plaisants... — dans la mesure où nous disposons d’un home habitable, supportable, que nous ne sommes pas ruinés et que le virus ne nous a pas élu. (Et que nous avons de quoi lire pendant longtemps) : on se régale de la créativité humoristique de nos contemporains (un véritable baume parfois) et l’on peut observer à découvert le potage cérébral bien confus de beaucoup d’autres. Humanité quand tu nous tiens... (L’heure est tout à fait anthropologique.)
Néanmoins, face au déluge de pleurnicheries, d’âneries et de mièvreries proférées par des devins à trois sous, des prophètes de bac à sable, des penseurs du remâché et des ouvreurs de bouche intempestifs, nous déclarons que nous nous autorisons, et que nous continuerons, d’évoquer les livres qu’il nous plaît de lire sur notre île et d’écrire les articles qu’il nous plaît où il nous plaît (si on nous accepte), et quand ça nous plaît. Pandémie ou pas. Qu’ils soient assurés que l’Alamblog continuera de parler de livres vieux, de livres neufs, car il en existe de bien bons, de livres anciens, de livres non parus, et même de livres qui ne paraîtront pas (1).

Mais surtout, et en priorité, l’Alamblog adresse tous ses voeux et toutes les ondes positives possibles à certains diffuseurs indépendants et à tous les éditeurs indépendants auto-diffusés ou pas qui ont son plus grand respect. En particulier parce qu’ils n'acceptent pas le jeu capitaliste et mortifère que certains professionnels de la profession jouent tout en donnant des leçons de morale (ces hypocrites vendent leurs livres sur Amazon, par exemple, et ne crachent pas sur cette part de leur CA, de même que sur celle que leur procurent certaines enseignes ravageuses pour les librairies indépendantes — désolé les gars, ça se voit.). Et pour tout comprendre de la situation réelle de la chaîne économique du livre, nous renvoyons à l’éclairant Barnum de Virginie Symaniec (Signes et Balises) (puisque les travaux d’économie du livre répètent la même chose depuis Jean-Marie Bouvaist, ou à peu près).
Voici, en guise de synthèse, ce que nous inspirent certaines prises de parole indécentes du « milieu » :
NON aux pleurnicheries de l’entre-soi, non aux fausses mises à plat vingt fois resucées, non à la répétition de constats établis depuis des lustres, et OUI au cantonnement, oui à la décence, oui au silence (merci Philippe Lançon), oui à la curiosité et OUI à la littérature.

Courage aux libraires qui aiment leur métier pour ce qu’il est
Courage aux lectrices et lecteurs qui aiment lire et achètent des livres toute l’année
Courage aussi aux éditeurs indépendants à la trésorerie marée basse.
Et courage aux auteurs aux fins de mois sans fin.




(1) On nous propose tant de livres non écrits à ne pas lire, sur tous les étals, tous les ans, tous les mois, toutes les semaines sans que les professionnels de la profession n'y voient à redire, et en particulier pas à la cavalerie éhontée de la branche depuis bientôt un demi-siècle... (Un suicide collectif disent certains, qui se soldera par la disparition des plus faibles, as usual. Bienvenue en capitalisme. Pour survivre, conseil gratuit du Préfet maritime, soyez cossus.)

Illustration du billet issue de N.A. Kpblnob (Fables), 1967.

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