Henry Muller

HenryMuller1952Light.jpg



Instantané
Henry Muller
Notre confrère « Carrefour » possède, aux Champs-Elysées un bar discret, où il doit être bien agréable de venir chercher un titre sensationnel au fond d’un verre de whisky ou de se détendre par une partie de poker dice. A cette heure matinale pour les bars, les tabourets sont vides et, de la pièce voisine, où déjeune la barmaid, s’échappe une odeur de de cuisine mijotée plus apéritive qu’un Martini très sec. Henry Muller paraît extraordinairement juene puor publier déjà, sous le titre « Trois pas en arrière » (1), ses souvenirs sur l’édition. Dans les réunions littéraires, où il cherche avec sa nonchalance gentille la matière de ses chroniques du « Magot solitaire », entre les costumes sombres et les moustaches des critiques « arrivés » et les blousons de la jeune génération, Henry Muller, avec ses vestes claires, ses cheveux bine ordonnés, ses noeuds paillon et sa démarche élastique, semble un émissaire, au pays des gens de lettres, de cette élite en voie de disparition qu’on appelait naguère « le monde du sport ». Ses traits, sa silhouette ont cette sécheresse élégante, ce délié des gravures de Laboureur pour les livres de Paul Morand, et il y a quelque chose de presque symbolique dans cette ressemblance avec les personnages des livres qu’il vit publier entre les deux guerres. Et comme il est reposant, pour une fois, d’avoir affaire à un fils de bourgeois qui ne rougit ni de ses origines ni de sa paresse !
— J’ai fait mes premières classes à Gerson, que je détestais. Je travaillais si mal qu’on me mit dans une boîte à bachot où un professeur, Boris de Tannemberg (sic), me donna le goût des lettres. Du théâtre aussi. Il nous faisait jouer la comédie ; une année, je déclamai « La Chanson de Roland », l’autre, je fus une des Précieuses dans la comédie de Molière. Cela m’a beaucoup servi plus tard, quand il fallait feindre un intérêt passionné pour les projets ou les oeuvres des écrivains. AUx Sciences-Po, où je ne travaillais guère, j’appartenais à la bande qui allait aux courses.
— Vous êtes joueur ?
— Pas du tout, j’ai bien trop peur de perdre. Ce que j’aime aux courses, c’est une certaine atmosphère, le côté Degas. Quand j’y vais, j’y retrouve Mme Daniel-Rops, Jean Fayard, Jacques de Lacretelle, Pierre Daninos. J’aime tous les sports : j’ai fait de la boxe, de l’escrime, du rugby...
—Cela ne vous destinait guère à l’édition.
— J’ai débuté chez Grasset presque par hasard.
— Quand avez-vous eu envie d’écrire ?
— Oh ! très tard, et poussé par ma femme. Je me suis longtemps borné aux « prière d’insérer ». Pourtant, j’ai traduit de l’anglais O’Flahery et l’amiral Byrd. J’aurais voulu écrire comme Morand, que j’admire infiniment,mais c’est difficile. Et puis le métier d’éditeur finir par vous donner un certain scepticisme. A force de feuilleter les manuscrits; de préparer la naissance d’un livre dans l’enthousiasme, pour le voir le plus souvent sombrer dans l’indifférence un mois plus tard, on en vient à se demander : « Pourquoi diable ajouter un bouquin de plus à la pile ? »
Henry Muller vide son verre et reste un instant songeur :
— J’ai longtemps souffert d’être un peu considéré comme un amateur. Quand j’étais jeune, Montherlant voulait que je pose pour Marie Laurencin qui préparait l’illustration des « Jeunes Filles » : il prétendait que je pourrais lui suggérer une image assez exacte de Costals. Opinion qui ne me flattait guère, car, enfin, les conquêtes de Costals...
A coudoyer tous ces écrivains — Chez Bernard Grasset d’abord, et ensuite aux édition de la Jeune Parque, qu’il fonda après la guerre — Henry Muller n’a certes pas attrapé ce goût pour les confidences publicitaires qui facilite la tâche des journalistes. Sa discrétion ne rend pas la mienne très aisée.
— Ce qui peut, je crois, intéresser le public, je l’ai dit dans monlivre ; le reste, mes petites aventures personnelles, n’intéresse personne...
Ôrare et touchante modestie qui et, chez l’auteur de « Trois pas en arrière », comme le parapluie pour les dandys d’Angleterre, l’indispensable complément de l’élégance.

Jeanine Delpech.



(1) La Table Ronde.


Les Nouvelles littéraires, 28 février 1952.




Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/4338

Haut de page