Habiter chez Chevillard

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Parmi les livres qui auront eu à souffrir, peut-être, du renoncement temporaire de nos impatiences bibliovores, la nouvelle édition augmentée du Carnet d’adresses de quelques personnages fictifs de la littérature de Didier Blonde, initialement paru dans la collection « L’Un et l’Autre » en 2010 et du Répertoise quasi homonyme publié par La Pionnière deux ans plus tard, devait être signalée aux plus bibliofilous qui aiment à s’enseigner les détails.
On connaît l’oeuvre, et peut-on dire le travail, de Didier Blonde, arpenteur et adepte du calepin, qui, à l’instar d’un Bernard Bretonnière (sur FB), s’emploie à ficher les auteurs (B) ou la fiction (DB) par le menu de la numérologie administrative ou de la topographie.
Pour Didier Blonde, nostalgique suprême d’un univers cristallisé dès les lectures d’enfance, l’histoire littéraire s’écrit avec les sursauts de l’urbanisme, voire de l’art funéraire, et il la mène désormais par la voie inédite de l’immobilier.
Ainsi a-t-il collationné les adresses des uns et des autres de ses personnages de fiction préférés — on note qu’ils logent peu à l’est de la capitale... Même si la Torpille est enterrée au Père-Lachaise, non loin de Fantomas qui se terre du côté de Gambetta et que le mécanicien Jacques de la Mort de quelqu’un de Jules Romains s’est enkysté dans un petit deux-pièces de Ménilmontant sans déranger personne. Reste que Maldoror et Manon Lescault et son chevalier des Grieux logent rue Vivienne, tandis que Louise Lame et Corsaire Sanglot partagent une chambre d’hôtel rue du Mont-Thabor où vécut Jack L’Eventreur... M. Hermès le commis de L’Apprenti de Guérin loge rue Dulong, Jacques Austerlitz selon Seebald rue des cinq-Diamants. Et voici, par exemple, comment on habite lorsqu’on se nomme Chevillard — exemple pris au hasard, nous vous prions de nous croire :

Chevillard (Eugène Labiche : "Rue de l’Homme-Armé, n° 8 bis", vaudeville satirique, 1849) Propriétaire victime de la République (la deuxième).
8 bis, rue de l’Homme-Armé, IVe. La rue correspondant aujourd’hui à une partie de la rue des Archives - avec un bis introuvable. On est en février 1848. Chevillard, qui rêve de posséder « des pierres, des escaliers, des portes, des fenêtres, des serrures... » vend son restaurant pour acquérir la maison de ses rêves. Mais le portier, Crevette, y fait entrer des gardes nationaux et des « hommes du peuple » qui l’occupent et la dévastent peu à peu sans que le nouveau prorpriétaire puisses toucher ses termes. Heureusement, la vente est annulée pour vice de forme, et, la trnaquillité revenie, c’est la belle Rose qui rachète la maison et propose à Chevillard de l’épouser. Le hasard fait de Chevillard le voisin d’en face de Jean Valjean, au n° 7.

Et c’est bien à propos que Crevette sonne comme Chavette, l’auteur d’un plus des amusants romans du XIXe siècle, AImé de son concierge, dont l’action prend place 21, rue Helder, créant un type de structure narrative, copiée du dessin de presse, que l’on retrouvera jusque dans ‘'La Vie mode d’emploi’’ de Perec. Et qui ne se souvient pas du Jamblier du 45 de la rue Poliveau sorti de l’imagination de Marcel Aymé ? Sa boutique n’existe plus, des nouveaux immeubles sont venus remplacés les anciens bâtiments de son coin, avec, au pied de l’un d’eux un café qui n’occupe pas tout à fait l’emplacement investi Aymé... Voilà en tout cas pour le genre des pages proposées par Didier Blonde qui, archiviste sans fin, saura même surprendre avec des étrangetés bibliographiques, comme cette ''Glace à trois faces'’ de 1930 signée Raoul T. — qui n’est donc pas celle de Paul Morand mais fait coïncider, par quel hasard, la figure de Terac avec celle de Jean Le Gac...
Un délicieux moment de lecture transversale en compagnie des personnages de Balzac, Stendhal, Flaubert, Simenon, Dantec, Malet et quelques autres, parfois nos contemporains, pour revivre quelques moments de leurs aventures parisiennes.


Didier Blonde Carnet d’adresses de quelques personnages fictifs de la littérature. - Paris, Galimard, « L’Arbalète », 245 pages, 19 €



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