Des lieux pour vivre ?

9782370670472_1_75.jpg



L’apparition d’une nouvelle brique dans le mur du temple de la Fantaisie ne doit jamais être ignorée. Et celle qui apparaît ces jours vient illustrer en nos temps d’utopigramme plat ce que l’imagination politique, le souci d'indépendance et la dinguerie réunis, peuvent avoir de stimulant.
Non il ne s’agira pas ici de la réédition de la Petite Tétralogie du fallacieux de Gilbert Lascault... Pas encore.
Un livre paraît sous la plume de l’Italien Graziano Graziani et il est consacré à un sujet que connaissent bien les lecteurs français depuis que Nodier, Queneau et Blavier en ont déblayé les abords via les publications de quelques farfelus carabinés : les royaumes et états de fantaisie. Ces empires du libre-arbitre et de la contestation, de l’autonomie et du rêve formulé sous les espèces de la concrétion administrativo-idéologique d’un Etat différent. Un compilateur plus récent qu’André Blavier, Bruno Fuligni, avait établi à plusieurs reprises depuis 1997 (1) la recension de ces bizarreries institutionnelles qui, vouées à liberté de tous ou aux foucades d’un seul, avaient déjà fait les beaux jours de l’Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, cette Babel des bibliofilous avides de curiosité et d’extraordinaire anthropologiques.
Les royaumes de fantaisie et autres états indépendants ont un charme fatal : les guides Lonely Planet leur ont même consacré un volume, s’il fallait trouver une démonstration de leur particulière pertinence.
Ainsi, certains individus fondent des utopies au Texas, comme Etienne Cabet, d’autres achètent une plate-forme pétrolière située en zone extraterritoriale, et c’est le cas de Sealand élaborée en famille dans les années 1970 et mise en vente en 2007 après quarante ans d'existence — elle aura dans ses beaux jours diffusé près de cent cinquante mille passeports. D’autres impriment leurs timbres (très recherchés), d’autres encore leur monnaie. Les plus modestes de ses pays de fantaisie peuvent occuper une chambre sur les pentes de Montmartre, ou, comme la République libre du Saugeais en bordure de Suisse, une quarantaine de kilomètres carrés.
Bien entendu, les difficultés ne manquent guère à leurs fondateurs, et la durée de vie de leur création n’est souvent pas très longue. Il faut faire avec les Etats institués acariâtres et leurs contondantes prérogatives... — c’est pourquoi il apparaît assez vite que l'usage d’une île isolée est fort pratique, un conseil gratuit qui depuis Defoe reste valable. Sera-t-on surpris d’apprendre par ailleurs que les années 1960 et 1970 furent une période faste pour ces mise en oeuvre de l’indépendance ? Les précurseurs de ce mouvement singulier, bientôt relayé vitruellement par internet qui autorise cette fois par jeu toute création fictive, étaient des êtres beaucoup plus opiniâtres ou littéralement dingos tels qu’ont décrit Josuah Norton, le premier empereur des Etats-Unis, Mark Twain, Lucky Luke ou Stevenson. Et ne parlons ni d’Antoine de TOunens, d’Araucanie, ou du Mexicain Zúñiga y Miranda, leurs histoires sont assez célèbres.
A travers des portraits de quelques cinquante-et-un Etats de fantaisie, Graziano Graziani retrace par chapitres l’histoire de certaines structures dont la plupart confine au canular lorsqu’elles ne sont pas le fruit de rêves puissants, généreux et humanistes — on pense en particulier à la temporelle utopie du NSK State fondée en 1992 qui ne dispose pas de sol mais s’expose à la fantaisie du temps, offrant même aux réfugiés un passeport). Certains, bien sûr, relèveront les limites de l’exercice et les plus savants connaissent très bien la part sombre de toute utopie dont le gant, toujours, à un revers... Toujours à propos de Sealadn ce commentaire de Graziani :

Les aventures bizarres de Paddy Roy Bates fasincent encore aujourd’hui, en particulier par l’esprit qui les inspirait. « Sealand, indique le site officiel de la principauté, est l’histoire d’une combat pour la liberté. Elle a été fondée sur le prostulat d’un groupe de personnes, lassé des restrictions et des lois opprimantes des Etats, puisse déclarer son indépendant en se détachant d’une institution supérieure. »

Macron et Philippe feraient bien d’y réfléchir à deux fois désormais qu’on leur a rafraîchit la mémoire, s’ils ne souhaitent pas à la tête d’un Etat vidé de soixante-six millions de micro-Etats forts en gueule...
Bref, pour une remise en mémoire, ''Passeport pour l’utopie'’ ne vous propose sans doute pas d’excellentes destinations de vacance mais le support à de profondes rêveries. Et pour les amateurs de récits d’aventure, les fiches de l’essayiste italien auront la grâce de réveiller des anecdotes qui méritent qu’on y réfléchisse parfois.




Graziano Graziani ''Passeport pour l’utopie. Micronations, un inventaire’'. Traduit de l’italien par Stéphanie Leblanc. — Paris, Plein Jour, 2020, 352 pages, 20 €


(1) L’État c'est moi (Éditions de Paris, 1997), Les Constituants de l’Eldorado : la République de Counani (Plein Chant, 1997), ou sa synthèse indispensable Royaumes d'aventure. Atlas des micronations. Ils ont fondé leur propre État, Les Arènes, 2016. On ne s’explique pas que la bibliographie de Graziani, qui ne paraît pas très à jour (la dernière référence date de 2009) fasse l’impasse sur le travail de Fuligni.



Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/4388

Haut de page