La fiction dans le pastiche

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Toujours pour accompagner le centenaire de la naissance de la harpie en cheffe, Gabrielle Wittkop, il nous revient que les éditions La Différence avaient publié en 1999 le manuscrit trouvé longtemps plus tôt dans ses archives d'un maître sadien, contemporain et successeur d'Apollinaire, Maurice Heine (1884-1940), dont le parcours tant politique qu'intellectuel est fort intéressant, en particulier parce qu'après être passé par La France islamique, journal algérien prônant l'assimilation, comme l'Akhbar de Barrucand, par Le Gil Blas ou par L'illustration, il revint en métropole en 1916 pour signer dans L'Humanité, La Nouvelle Revue française, Hippocrate ou le Minotaure, dernier titre qu'il dirigea. Membre du PC, il en fut éjecté par Trotsky lui-même pour extrême-gauchisme... Bref, un gaillard qui avait en Algérie eut le temps de lire et de se cultiver, mais qui en avait également beaucoup vu, assez vu pour virer à l'anarchiste.
Son livre, Luce ou les mémoires d'un veuf est une une curiosité carabinée. Son rapport avec la harpie ? Il s'agit d'un exercice de style, d'un habile pastiche où Heine mêle toutes sortes de moments gothiques, sadiens et libertins, à l'instar de ce que fera Gabrielle Wittkop dans ses pastiches (on trouve trace de ce goût, avoué cette fois, dans Usage de faux, publié par Verticales, où se lit, par exemple, une amusante apostille au dictionnaire de Bierce), ou, dans un projet si proche de celui d'Heine, dans sa Marchande d'enfants, et encore dans nombre de ses écrits qui fleurent bon les poudres parfumées du Grand Siècle.
Chez Heine et Wittkop, autre point commun : l'inceste. Chez elle, l'aveu de cette relation complexe au père qui la pousse à séduire les maîtresses d'iceluy (une nouvelle dans Les Holocaustes (Veyrier, 1976), recueil reparu sous le titre Le Sommeil de la raison, Verticales, 2003) ; chez Heine, cette Luce qui chavire un père veuf et par ailleurs narrateur.

C'était hier le second anniversaire de mon veuvage. j'ai conduit au cimetière mes enfants, pour la dernière fois en grand deuil ; le ciel bas, le vent et la grêle accompagnaient nos pensées. Mais aujourd'hui, c'est le printemps le plus doux, le plus ensoleillé, le plus attendrissant. Je fais à mes enfants la surprise de vêtements neufs qu'ils trouvent à leur réveil, et Luce s'exclame, joyeuse, la vue d'une robe de satin mauve qu'elle passe bien vite pour venir me souhaiter le bonjour.

Et voilà comment tout commence. Si c'est bien un livre de second rayon comme on en connaît tant, cette Luce, qui est restée longtemps au tiroir s'est rattrapée depuis que les éditions La Différence l'ont publiée en 1999, près que soixante ans après la mort de son auteur. Les moeurs ont changé : il est certain qu'en 1940, les juges s'en seraient donné à coeur joie. Aujourd'hui, ceux que ce genre distrait trouveront chez Heine de l'originalité, et ça n'est pas commun dans ce genre de production, et de la qualité, toute placée dans un style hérité des grands auteurs d'autrefois. Ils s'amuseront aussi de la grivoiserie piquetée de malice de son télégramme final qui lie au scabreux l'esprit des humoristes et des journalistes de son temps eb décryptant les mots cache-sexe de la langue de son époque. Voici bien un libertin...
Pour les amateurs, il faut signaler encore que Maurice Heine est aussi l'auteur d'un fameux Recueil de confessions et observations psycho-sexuelles tirées de la littérature médicale (rééd. La Musardine, 2000). C'est un must et il a ses adeptes comme vous pensez bien.



Maurice Heine Luce ou les mémoires d'un veuf. Préface de Jean-Jacques Brochier. — Paris, La Différence, 2013, "Minos" (n° 93), 155 pages, 8 €


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