Rattus bibliofilus

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S’il y a un réflexe humain trop humain qu’on ne parviendra pas à rédimer, c’est bien celui d’exprimer le plaisir que l’on éprouve à parler de ses livres. Pas un mois sans que paraissent des éloges, des vade mecum, des commentaires sur notre vie au coeur de « ma » bibliothèque, ce vaste charnier dont on se croit propriétaire, des guides de voyages en pays papetier, des listes de « coup de coeur » (malaisant), des exemples de « pépites » (à vomir), des trucs « iconiques » (abject !), des bouquins « incontournables » (Iésoumariajioseph) dont, la plupart du temps, Montesquieu, Nodier, Céline, Paulhan, Apollinaire ou Manchette faisaient déjà l’éloge... Au fond, pour reprendre cette célèbre tirade du néanxistenciel moderne : « Si t’as pas de bibliothèque à cinquante ballets, c’est que t’as raté ta vie ».
A la lecture de Comme un rat du Belge Jan Baetens, on peut faire deux constats. D’abord, il a réussi sa vie, lui. Notamment parce qu’il a beaucoup lu et qu’il sait parler des livres avec pertinence et subtilité. De plus, c’est un malin : sa bibliothèque est toute intérieure. Aussi bien, il fait le tri, et apparemment adroitement (on parie que comme tous les gros lecteurs il doit passer un peu de son temps à réfléchir à la façon d'organiser tout ça, aux pièces retranchables, aux privations supportables, etc. C’est le lot de tout lecteur « professionnel » entassant les lectures à venir dans ce qui, le plus souvent, n’est pas un château.) Il réserve ses Fargue et Henri Thomas, Gracq et Larbaud, et comme c’est un jouisseur, il se garde bien de jeter ses Dekobra. Idem, il conserve Bernard Frank, et, parce que c’est un esthète, Jean-Benoît Puech et Michel Lafon.

Jamais je n’ai eu de livre préféré, ni d’écrivain que je mets au-dessus des autres. Mes goûts changent, les nouveautés et l’inconnu m’attirent comme à vingt ou trente ans. J’adore oublier. Mais je veux aussi comprendre pourquoi il y a des textes et des auteurs que rien ne chasse.

Recueil d’essais, Comme des rats tient tout autant de la critique littéraire que de la métaphysique du livre. Le livre est-il utile ? A quoi ? Et pourquoi le serait-il ? Ma foi, vous le saurez en lisant Jan Baetens. Il trouve le temps de célébrer "Les timbres-poste de l'exotisme" de Gilles Lapouge, de décrypter son propre "primo-roman", Faire sécession, d'évoquer quelques films, quelques peintures, John Updike et puis les Potassons qui entouraient Fargue, et quelques autres encore accompagnant son propos de réflexions qui feront réfléchir les lectrices et les lecteurs... Lesquels adorent ça, pas vrai ?

Relire, joie de relire. C'est le cadeau, immérité car nous sommes distraits si souvent et si peu attentifs, que nous offre tout vrai livre. C'est pareillement ce que les vrais lecteurs attendent du texte dans lequel ils s'embarquent. Loin de succomber à quelques geste de lecteur vieillissant, d'indifférent à la production récente, nous relisons par enthousiasme, pour le plaisir de voyager dans le temps, emportant avec nous notre connaissance du présent, projetant sur nos lecteurs à venir les leçons de la bibliothèque.

Sans chichi, sans forfanterie, Comme un rat compose le salut reconnaissant d'un lecteur bien nourri. Et faire des jaloux, n'est-ce pas une excellente manoeuvre pour attirer les curieux ?




Jan Baetens Comme un rat. — L’herbe qui tremble, 2020, 181 pages, 15 €



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