Le nouveau programme d'études de Petar Burekčina en main (sitôt reçu du département du Soutien académique, Rihter s'était empressé d'y écrire au stylo à bulle rouge "Petar Morončina (1)"), enhardi par l'attitude des étudiants, porté par une bonne humeur jamais ressentie encore et par une disposition d'esprit qu'en l'absence de meilleur terme on pourrait désigne sous celui d'espièglerie académique et qui allait grandissante de seconde en seconde, Rihter décida de redoubler de créativité et mit au nombre des surréalistes moins connus les premiers noms à lui passer par la tête : T. S. Eliot, Rilke, et Boulgakov. Pour chacun il cita au moins une oeuvre : il fait d'Eliot l'auteur du Maître et Marguerite, dit que Rilke avait écrite La Terre vaine et que Boulgakov avait acquis la notoriété avec les Élégies. Les étudiants ne levant toujours pas la tête de leurs téléphones "intelligents", il enchaîna. Le Maître et Marguerite décrit vingt-quatre heures dans la vie de Leopold Blum, un prédicateur musulman à l'époque de la première croisade qui s'énamoure du chef de la cavalerie croisée. Les Élégies parle d'Emma Bovary, une ménagère qui avait voulu, pour se venger de son époux, empoisonner toute la ville avec de la mort aux rats mais qui en fut empêchée par un jeune éboueur du nom de Septimus Warren Smith. L'action de La Terre vaine est située à Prague pendant l'épidémie de peste et le personnage principal, Gregor Samsa, est un magicien bulgare qui libérera la ville de cette funeste maladie en charmant les rats au son de sa flûte et en les emmenant tous en émigration. Bien que le mot "rat" ait été prononcé une seconde fois dans la jadis cantine de l'usine FSH Pobeda, personne ne le remarqua, pas même l'étudiant du troisième rang qui, passé sur Twitter, lisait le compte rendu d'un spectacle de rue place de la République.
Andrija Matić Burn-out, traduit du serbe par Alain Cappon. Paris, Serge Safran, 2021, 221 pages, 21 €
(1) Gros crétin, en serbe.