Les lettres rouges de Maxime Vuillaume

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Un formidable ouvrage consacré à la Commune de Paris paraît au Cabinet Chaptal, la librairie de Nicolas Malais : le documentariste Jean Baronnet y a compilé près de 400 lettres et documents de communards adressés ou transmis à Maxime Vuillaume, le tout premier historien de la Commune. il en avait été du reste l'acteur avant d'en être l'archiviste, bientôt exilé parmi ses pairs qui avaient eu la chance d'échapper aux représailles en se repliant en Suisse. L'ensemble paraît étourdissant..., d'autant que ces deux mois et demi de la Commune, nouvelle insurrection d'une situation révolutionnaire quasi permanente au XIXe siècle (voyez Blanqui), ont toujours excité les curiosités. Ce livre contient des pièces de nature à rafraîchir les idées de tout le monde et à faire un point sur l'épisode, sanglant par la force des choses, mais aussi fondateur, progressiste, socialement prometteur.
Le compilateur des archives, Jean Baronnet, est un documentariste connu pour ses travaux sur la guerre et le sport, qui s'est également focalisé sur la Commune. Il s'en est fait le cinéaste (Une Journée au Luxembourg, basée sur un épisode de la répression versaillaise racontée par Vuillaume) et l'historien en publiant, par exemple, Communards en Nouvelle-Calédonie (Mercure de France, 1987) ou Regard d’un Parisien sur la Commune. Les photographies d'Hippolyte Blancard(Paris Musées, 2008). Il est aussi collectionneur. C'est de cette double action de collectionneur et d'essayistes qu'est né ce livre épatant, complément à l'histoire toujours en cours de la proscription des communards, sur la foi de témoignages directs. La liste est longue de ces documents que Vuillaume continua de recueillir à son retour en France, après l’amnistie de 1881. Il avait en tête ses Cahiers rouges bien sûr, mais sa documentation était plus large encore, en particulier sur les conséquences de la proscription.
Maxime Vuillaume (1844-1925) est bien connu des lecteurs : ses Cahiers rouges, édités par Charles Péguy à la demande de Lucien Descaves ont eu le destin d'un grand récit. C'est un livre de référence, contrairement, par exemple, aux souvenirs de Maxime du Camp entachés d'erreurs factuelles. Mais le caractère d'archiviste de Maxime Vuillaume avait été un peu oublié, en partie parce que Descaves avait souhaité devenir la plaque tournante sur le sujet, rédigeant à la mode littéraire cette histoire dont il n'avait pas été le témoin mais qui touchait profondément sa fibre littéraire et politique.
En rendant publiques ces archives peu connues qu'avaient conservées l'arrière-petit-fils de Vuillaume et en les contextualisant avec soin, Jean Baronnet offre une occasion unique de constater les relations des exilés et leurs états d'esprit. Durant dix ans, son exil ne laissa pas Vuillaume sans correspondre avec ses amis, documentant un sujet que Descaves satirisa mal à propos avec Le Vieux de la Vieille — ce fut occasion d'une sérieuse brouille entre les deux hommes qui se rabibochèrent peu avant la disparition du vieux Communard.
Parmi ces quatre cents lettres on recense vingt lettres d'Elisée Reclus, par exemple. Y jaillissent les noms de Paschal Grousset, d'Arthur Arnould, de Maxime Lisbonne ou de l'inévitable Vermersch avec lequel Vuillaume contribua au Père Duchesne...

"Proscrit comme nous"

Voici ce que lui écrit Elisée Reclus de Vevey, le 21 septembre 1877

Mon cher ami,
Un des nôtres, proscrit comme nous, se trouve en ce moment sans emploi, à la suite d'une mauvaise spéculation. Il avait entrepris une exploitation de tourbières près d'Et... et n'a réussi qu'à perdre les quelques économies qu'il avait.
Antérieurement à cette exploitation Benoist a été employé chez des architectes. Il est donc au courant de ce genre de travail ; mais toutes les places de ce genre sont occupées ici.
Y aurait-il possibilité pour vous de lui procurer un emploi dans les travaux du tunnel. J'ai pensé que si par vous, il pouvait trouver un travail de quelques heures par jours, peut-être trouverait-il à compléter ses moyens d'existence par les travaux de reconstruction qui vont être nécessités par le sinistre d'Airolo.
Bien entendu, si vous pouviez lui avoir ou lui faire avoir un emploi suffisamment lucratif pour qu'il puisse vivre avec sa famille, (il a femme et enfants) cela n'en vaudrait que mieux.
Je vous en saurais gré, car Benoist est près de nous à Vevey, depuis plus de deux ans, et je le crois recommandable.
Un mot de réponse je vos prie, et s'il y a lieu, je lui dira de se mettre directement en relation avec vous ; il vous expliquera mieux ce dont ile st capable.
Mon frère est à Londres, bien installé, 51 Overstone road, Hammersmith SW London. (1)
Elisée Reclus


Lettres, notes, croquis, photographies, forment un ensemble unique constitué par un acteur de la Commune, méticuleux, soucieux de connaître les faits, et précis, au point de noter à telle occasion sur un croquis l'emplacement de chacun des insurgés dans la salle de l'Hôtel de ville. L'historien Albert Mathiez, présent dans le volume, n'hésitera pas, en 1913 par exemple, à interroger Vuillaume à propos de tel acteur ou de tel fait
Après les Cahiers rouges, il faudra compter les Archives de Maxime Vuillaume comme le complément indispensable, riche de faits, de sensations, de sentiments, d'échanges, qui donnent au fond une autre idée de ce moment libérateur de la vie du peuple français bien vite réprimé.
Un épisode qu'une note de la main de Maxime Vuillaume résume :

"Paris partagé en deux camps"
"La Place de la Bourse. On s'embrasse"
"Plus tard, on attachera les vaincus aux grilles"




Jean Baronnet Les Archives de Maxime Vuillaume. — Paris, Nicolas Malais-Cabinet Chaptal, 484 pages, index, 35 €


(1) Il s'agit d'Elie, patron de la Bibliothèque nationale pendant la Commune. On apprend beaucoup de choses sur son rôle dans l'article de Marie Galvez, "La Bibliothèque nationale et la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871)", Revue de la BnF, n° 50, 2015, p. 70-85.

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