Le macabrophile Heine

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Un Heine peut en cacher un autre. De fait, Henri ombrage sacrément Maurice.
On se l'explique, le poète européen contre l'érudit bibliographe, propriétaire anarchiste de surcroît, militant communiste de plus... Le combat était inégal. Mais c'est de ce dernier que nous allons parler, pour une fois, à l'occasion de la publication d'un volume nouveau et instructif à l'enseigne du Sandre.
Après avoir connu la gloire immarcessible de l'édition par Jean-Jacques Brochier de son roman érotique inédit Luce ou les mémoires d'un veuf (La Différence, 1999 ; idem, 2013) — l'Alamblog en disait un mot —, le poète Maurice Heine jaillit, las peut-être de ne servir que les mânes du marquis de Sade, lesquels il avait déjà bien et beaucoup servis de son vivant. Avec constance et détermination.
Il faut le reconnaître, sans Heine, du marquis pas de quête. Entre 1925 et sa disparition, il aura beaucoup oeuvré, bientôt relayé par Gilbert Lély, puis par les dix-huitiémistes encartés, pour la reconnaissance de l'importance de l'oeuvre de celui dont il traquait les manuscrits autographes, en particulier parce qu'il avait deviné la nature de son projet — sur lequel encore s'écrivent chaque année tant de choses... Ô génies, fournisseurs d'inaltérables sujets !
Maurice Heine était poète depuis 1917, externe à l'hôpital puis propriétaire en Algérie, journaliste et bientôt éditeur des oeuvres du Divin Marquis. Dans le domaine, sa première étape, après lecture des 120 journées de Sodome éditées en 1904 par le Dr. Eugène Dühren acquises en 1912, fut l'édition du Dialogue entre un prêtre et un moribond (...) publié pour la première fois sur le manuscrit autographe inédit avec un avant-propos et des notes par M. Heine (s.l., Stendhal & Cie, id est Jean Prévost, 1925). Il avait acheté le manuscrit à Drouot. Il était dans le même temps co-fondateur du PCF. Voilà qui pose le personnage... encore nimbé d'un mystère léger qui vient de s'effacer grâce à Georges-Henri Morin qui propose en introduction de l'anthologie présente une synthèse biographique d'une grande richesse. C'est confortable : nous voilà beaucoup mieux informés.
Maurice Heine était né le 15 mais 1884 à Paris dans le IXe arrondissement, il mourra le 26 mai 1940 à Vernouillet, dans les Yvelines (il avait habité à Dourdan, 2 rue du Puis-des-Champs). Par bonheur, ses archives n'ont pas été distribuées aux poubelles mais confiées à la Nationale (sa bibliothèque seule fut vendue par le jeune Pauvert, qui ignorait alors tout à fait Sade) et elles ont permis à de nombreux chercheurs de se repérer dans l'oeuvre problématique. Tout à sa passion sadiste, il écrivit beaucoup, fraya avec Apollinaire et ses pairs en érotologie, — qui le tenaient parfois en dédain — Sade, tout de même, n'était pas fréquentable, même pour des lascars comme Fernand Fleuret écrivant sans la moucheter sa réserve quant à la fréquentation d'un exégète de Sade à Louis Perceau, lesquels pouvaient se goberger à propos de Kraft-Ebhing, le descendant spirituel du marquis — collabora à diverses revues, surréalistes en particulier, après avoir été, bien plus tôt, des petites revues poétiques, comme il sied à l'impétrant que démange la lyre.
Maurice Henri avait aussi un projet personnel, et c'est Georges-Henri Morin qui nous le rend dans sa vêture ambitionnant un "Tableau de l'amour macabre" qui aurait constitué un élément de son grand-oeuvre sadiste resté à l'état de projet de "Sous l'étoile à huit rais d'or, essais" — le titre dit assez le tempérament (il a été trouvé par Lely).
Poète, Heine (Maurice) le fut depuis La Mort posthume (fouilles d'Antinoë) (Paris, J. Meynial, 1917) à propos des momies exposées par le musée Guimet entre 1900 et 1903 (1), L'Islam sous la cendre (première septaine) (id., 1918, avec planches en couleurs) et Pénombre, poème (Les Muses françaises, 1919 que ce bibliophile ému (il est un temps collaborateur d'Ambroise Vollard) fit imprimer en noir et violet dans un caractère de civilité du XVIIIe siècle... Le suaire était mis, et par effet d'une cohérence trop nette, la dédicace de son tout premier recueil était à Marcel Bource (1883-1916), tué à Douaumont... Il faut signaler aussi une proximité avec L'Île sonnante, Les Essais, Vivre et les fantaisistes des Facettes (où il publie "Le Voyage en faïence", qui n'est pas sans évoquer Suarès ou Miomandre, et "Cyprès", deux textes issus de son recueil "algérois" de 1919) (2)... Appelé par la revue Minotaure, proche de La Révolution surréaliste, il fut on ne peut mieux de son temps, compilant ce qui prend forme aujourd'hui sous la couverture à l'italienne illustrée par les "Sourires mexicains" d'Anne Van der Linden (2012), corps nus et squelettes, dans un subtil hommage demi-noir à certaine Bibliothèque internationale d'érotologie...
Proto-bataillien, Heine se passionne donc à la suite de son sujet de prédilection pour les perversions, l'amour macabre, la nécrophilie et c'est tout le sel d'Un monde mouvant et sans limite de réunir le matériau qu'il avait préparé pour ce lointain projet inabouti. Les amateurs de Gabrielle WIttkop et de Jean Streff apprécieront : fétichisme, sadisme, masochisme, toute la panoplie se révèle sous la plume de cet homme haut en couleur, un sanguin probablement, capable de tirer, et c'est remarquable, même si c'est au plafond, les neuf balles de son pistolet lors d'une réunion politique dans la salle de la Belleviloise à Paris. (Faute d'avoir visé ses contradicteurs, il n'est qu'exclu du PCF).
Quand à sa vie de journaliste, il faudra y revenir un jour sans doute, lorsqu'on remettra en valeur certaines de ses enquêtes à malice et ses inspirations politiques (il est vidé du PCF par Trtosky pour avoir tenté d'imposer à sa section le mandat impératif, cet utopiste). Cette enquête-ci par exemple que signale, en 1926, L'Ami du lettré dans La Vie (dir. Marius-Ary Leblond) à propos de la vente des services de presse d'André Gide dont la multiplication interroge et forge plaisanterie... (3) Nous reviendrons sur son cas, et Georges-Henri Morin aussi, du moins nous l'espérons. Auparavant, cette citation d'une page croustillante comme l'on en trouve tant dans ce livre :

En maltraitant une dépouille, en lui infligeant les pires cruautés, désormais dérisoires et gratuites, le nécro-sadique n'exerce pas sa vengeance seulement contre les vivants dont il outrage au moins le simulacre : il a délibéré de provoquer le peuple des morts. C'est à l'humanité totale qu'il déclare une guerre totale.




Maurice Heine Un monde mouvant et sans limites. Tableau de l'amour macabre, premiers poèmes et autres écrits, présentés et annotés par Georges-Henri Morin. — Bruxelles, Editions du Sandre, 186 pages à l'italienne, 22 €


(1) Occasion inespérée de replacer ce grand moment des mémoires de Guimet : "Un jour, j'achetai une momie ; quelle joie ! puis une autre. Pour gagner mon lit, j'étais obligé d’enjamber les cadavres. Je changeai de chambre."

(2) Attention, ceci était un piège que seul seul a relevé Geroges-Henri Morin : Maurice Heine n'est pas Maurice Heim.

(3) "La vente des livres de M. André Gide amena M. Maurice Heine à coltiner pour La Vie des opinions sur le droit de céder ou de ne pas céder les œuvres dédicacées sous le poids desquelles nos parquets craquent, sinon nos cervelles s’effondrent". (cf. Paris-Soir, 5 avril 1925)

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