L'Alamblog

Il est certain que parmi les grands directeurs de la NRf, Jacques Réda aura été à partir du 1er septembre 1987 l'un des plus malicieux, et l'un des plus légers. Le recueil de ses seules chroniques, alors placées sous la rubrique "Le fond de l'air", le démontre assez vite.
Qu'il interroge la postérité, la fiscalité, le temps ou les rapports de la littérature et de l'informatique ("Tourniquet") — qui, déjà, valait notable étalage dans le marigo aux adeptes du prédestiné programme Alamo, identique glissade que constatent désormais, et à nouveau, tous les tenants un tant soi peu lucides des "humanités numériques" (ou de la supposée magie de la créativité littérature sur informatique), Réda nous enchante sans esbroufe.
Soyons nets : Réda n'est pas devin (malgré ses "Prédictions farcies"), il est simplement un être lucide qui ne se laisse pas emporter par la vague perpétuellement renouvelée du "nouveau". Ce qui plaît par ailleurs chez lui, c'est une totale absence de morgue. Lui suffit l'expression simple d'un raisonnement d'individu doté d'un cerveau en état de fonctionnement, souvent drôle et toujours lettré, exempt d'intentions personnelles en outre, ce qui distingue les grands directeurs de revue.
Sobriété, humeurs, amusement, curiosité, Jacques Réda nous régale, bonhomme et sage convoquant pour parler du "ballon rond" un Pindare, ou lâchant ses occupations pour se préoccuper du "gouzi-gouzi" avancé par le Petit Robert... Culture, poésie, pensée, voilà ce qu'on espérait du cinquième directeur de la NRf. Que n'a-t-il persévéré dans son être de directeur pour poursuivre son exploration de notre monde qui cristallise, s'en rend-on compte autour du prix des lettres, de la farine de marbre ou des inepties d'un architecte idiot...
En somme, que Le Fond de l'air n'effraie pas : c'est un délicieux livre de chevet, rédigé par l'un de nos meilleurs poètes.


Jacques Réda Le fond de l'air. Chroniques de la NRf, 1988-1995. - Paris, Gallimard, 128 pages, 12,50 €