L'Alamblog

La disparition du regretté Eric Carle (1929-2021), graphiste et écrivain américain, fait jacasser la presse française.
Un grand homme est mort : il était américain et il avait fait des trous dans un livre. Trous qu'il avait admirablement vendus.
Pour donner ici quelque notion raisonnable d'histoire du livre, il faut rappeler que les principaux inventeurs du trou dans le livre sont en réalité les vers qui multiplient leur geste depuis des siècles sans que jamais France Info ou Tf1 ne s'en soucient.
En revanche, si l'on souhaite évoquer la "nouveauté" du phénomène "trou" dans la page du livre en temps que geste poétique et typographique, etc. il convient de signaler que la première moitié du XXe siècle avait déjà creusé la question en moult occasions (Nodier l'avait imaginé et conceptualisé sous forme d'un page noire plus tôt, mais ça n'est pas tout à fait la même chose).
Le Cinéma en URSS d'Arosseff, Stephanova et Rotchenko en avait par exemple fourbi, sans doute à l'ancienne, un très beau en 1936.
Quatorze ans avant Eric Carle, Maurice Henry (1907-1984), cet autre adorateur du trou, avait aussi publié ses Métamorphoses du vide.
Plus tard, Jean Sénac en avait forgé un dans un poème (Dérisions et Vertige, 1983), bientôt rejoint par la raya des auteurs de livres pour enfants qui ont trouvé là un compromis entre l'étonnant et l'onéreux (l'éditeur n'aime guère l'onéreux).


Entre les bibliopoles qui creusent eux-mêmes leur trou, ceux qui ne peuvent s'empêcher d'y tomber et les auteurs qui font le leur douillet, on se demande si l'industrie éditoriale n'est pas une gigantesque fabrique de trous.
Et de fours aussi, il est vrai.




Maurice Henry Les Métamorphoses du vide. - Paris, Editions de Minuit, 1955 ; nouvelle édition (réussie) : Bruxelles, Editions du Sandre, 2018.

Eric Carle La Chenille qui fait des trous (The very hungry caterpillar, 1969). - Paris, Nathan, 1972 ; trad. Laurence Bourguignon, Namur, Mijade, 2013).