Albert Marchon (1925)

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Albert Marchon

Attention !
Un nouveau venu, Albert Marchon, vient de publier un beau livre.
Il faudra: lire Le Bachelier sans vergogne. Sans quoi vous auriez l'air d'un nigaud ou d'un barbare quand on vous en parlera.
Et beaucoup vous en parleront.
Ce livre-là est important.
Il marque une des plus admirables révélations qui se soient produites depuis celle de Colette.
J'exagère ?
Lisez le Bachelier sans vergogne.
A vingt ans, une fois son diplôme de bachelier conquis, Albert Marchon a tout de suite trouvé une carrière.
Il s'est fait vagabond.
Assez de salles d'étude, d'encre et de papier, de Commentaires crasseux à force d'avoir servi. Il voulait respirer librement, se sentir sans toit, sans route tracée d'avance, voir palpiter la vie au lieu de la considérer empaillée en une attitude conventionnelle ou sèche comme fleur d'herbier, retrouver la pure fraîcheur virgilienne, et se laisser bercer par le bruissement des abeilles de Platon, loin des pions qui les ont voulu fixer à coups d'épingles sur un tableau scolaire.
Pèlerine aux épaules, bâton en main, riche de trente sous, il est parti. Bah ! Il trouverait bien un grenier pour coucher ; on lui ferait bien, dans les hameaux traversés, don d'une écuellée de soupe chaude ! Les bonnes gens du Dauphiné ou de Provence ont l'âme généreuse. Sinon, les buissons offrent leurs mûres et le torrent ne refuse pas que le creux d'une main s'y remplisse d'eau fraîche.
Il est parti. Il a été hébergé par des vieilles, par des curés de campagne, par des fermiers ; il s'est fait, quand la faim le pressait trop, garçon de café, ou ramasseur de lavande ; il a été sévèrement questionné par des gendarmes ; et surtout, ivre de liberté, cuit par le soleil, blanc de poussière ou alourdi par les averses, chemineau basané, aux cheveux où s'emmêlaient des brins de paille, mendiant sans honte, chapardant sans trop de scrupules un fruit de verger; nourri d'un peu de lard et d'un quignon de pain, souvent à jeun, mais toujours allègre, il n'a rassasié que sa vue, comme si la nature se fût faite plus belle pour celui qui la comprenait si bien.
Ces spectacles, ces entretiens rustiques, ces aventures de trimardeur, tel est le sujet de son livre.
Déjà, voilà qui est neuf.
Mais la nouveauté la plus surprenante est dans le style extraordinairement simple qu'emploie Albert Marchon pour traduire ce que nul autre n'avait dit avant lui. Est-ce au contact des choses, loin du monde et des écrivains qu'il a découvert cette pureté d'expression ?
Sa phrase s'est-elle scandée au rythme du vent dans les branches ou selon les courbes des montagnes contemplées ? L'aisance de cette vie sans contrainte s'est-elle communiquée à ce vocabulaire où tout arrive à la bonne place et n'y pèse point ? Sont-ce les loisirs de la solitude qui ont permis à l'auteur de trouver chaque fois la comparaison la plus juste en même temps que la plus inattendue ? Je vous le dis, c'est du Colette. Ce vagabond est frère de la Vagabonde.
Octobre débute à peine. Déjà, pourtant, certains candidats au prix Goncourt préparent leurs opérations stratégiques. L'un attend la fin de novembre, pour surgir à l'improviste, comme un moyen d'accorder sur un nouveau venu les partis intraitablement divisés. L'autre s'entraîne aux courbettes. Un naïf cherche à conquérir la faveur de ses confrères. Un brutal aiguise ses coudes pour en jouer sauvagement parmi la troupe des solliciteurs.
Qui sera lauréat ? Peut-être l'auteur d'un livre puissant où l'on verra l'étude d'une catégorie d'êtres humains qu'on méprise, bien qu'ils souffrent. Peut-être celui d'un roman sportif. Peut-être celui qui peignit tour à tour une vestale d'Alsace et une sensuelle Napolitaine.
Mais voici qu'apparaît en Albert Marchon leur concurrent redoutable.
Qu'ils se rassurent, toutefois. Nul n'est plus modeste. Il ignore l'intrigue. Très obscur fonctionnaire - on ne peut pas errer toujours ! — ce jeune homme ne songe qu'à ses beaux souvenirs et à ses espérances dorées. Il n'écrira pas une lettre. Il ne fera pas une visite. Ceux qui s'intéressent à lui, ceux qui lui sont reconnaissants de la joie magnifique qu'ils lui doivent, ne peuvent compter que sur son talent.
Et, pour obtenir un prix littéraire, c'est bien peu.
Paul Reboux






Paris-Soir, 12 octobre 1925.

Note de la rédaction : Le prix Goncourt 1925 a été attribué à un autre modeste, Maurice Genecoix.

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