La Roumanie sanglante (Panaït Istrati)

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Panait Istrati aurait été arrête en Roumanie
Des nouvelles nous parvenant de Roumanie nous annoncent t'arrestation de notre excellent collaborateur et ami Panait Istrati dont les débuts'si éclatants avec Oncle Anghels furent confirmés par le beau succès des Présentations des Haïdouks.
Ce Roumain qui nous donne ces renseignements et dont nous ne pouvons révéler l'identité nous dit :
"Panait Istrati s'était rendit à Bucarest 'pour travailler à -son dernier roman écrit en roumain et qui doit paraître là-bas. Mais la fameuse « Sigmantza » (police); qui, hélas ! tortvlre* notre'pays, n'a pas vu d'un bon œil l'arrivée de cet ancien ouvrier du port devenu écrivain célèbre. Aussi, un directeur de la police se présenta-t-il à son domicile pour lui ordonner de ne pas quitter sa chambre, sous prétexte qu'il courrait le danger d'être assommé. En Roumanie, cela veut dire, paralt-il, m arrête à domicile, sous peine d'être lynché".
Nous espérons encore que cette nouvelle est inexacte. Pourtant plusieurs faits seraient de nature à la confirmer. D'abord, il est exact je Panait Istrati s'est embarqué pour Bucarest. Ensuite un de ses amis de Paris, auquel il écrit régulièrement, n'a pas reçu de ses nouvelles depuis plus d'un mois. Cela lui fait croire que, pour le moins, la correspondance d'Istrati est Interceptée par la police roumaine.


Paris-Soir, 30 septembre 1925

Panaït Istrati est a "consigné à la chambre*
Nous avons annonce il y a trois jours l'arrestation à Bucarest de l'auteur d'Oncle Anghel et des Présentations des Haïdouks, Panait Istrati.
A la légation roumaine où des renseignements seraient parvenus, papraît-il, sur cette affaire, on prétend que Panaït Istrati, hôte de son éditeur roumain, aurait été seulement prié, par un policier de ne point sortir. Il est gardé à vue.
C'est ce qu'on appelle, en style réglementaire, la consigne à la chambre. Mais Istrati a passé l'heureux âge de ces petites expériences de caserne. Il faut que la police roumaine, si susceptible qu'elle se montre, lui rende sa liberté entière.
Le crime, le seul crime d'istratj : être un écrivain libre, qui ne ménage pas les puissants. Il est vrai que ce crime, les gouvernements de tous les pays, hélas ! le pardonnent difficilement. Mais chacun a sa manière pour le réprimer. Celle du gouvernement roumain ne vous paraît-elle pas, pour le moins, singulière ?


Paris-Soir, 2 octobre 1925



La Roumanie sanglante

Une lettre édifiante de Panait Istrati, de retour de Bucarest.
Nous avons signalé en son temps la mise aux arrêts de notre collaborateur Panaït Istrati, en Roumanie. Nous avons dit dans quelles circonstances le vigoureux écrivain de L'Oncle Anghel et de Présentations d'Haidoucks avait, dès son arrivée, été brimé par la police.
Il était difficile alors d'avoir des renseignements complets sur les faits que nous signalions. Istrati, de retour à Paris, vient de nous faire parvenir cette lettre qui met au point ces incidents et en dévoile d'autres, malheureusement plus nombreux et plus graves. Nous sommes ici trop amis de la liberté sous toutes ses formes, pour ne pas donner la parole à cet homme droit et généreux qui plaide, une fois de plus, pour les opprimés :

Paris, le 30 octobre 1925.
Mon cher Gabriel Reuillard,
Ainsi que vous le savez, une partie de la presse française a bien voulu s'occuper des incidents qui se sont passés à mon propos en Roumanie et, naturellement, il y eut des affirmations inexactes ou exagérées. Il était donc de mon devoir, une fois rentré dans mon pays d'adoption, de remercier les amis, nombreux, qui ont le souci de ma liberté alors que je retrouvais, pour un court séjour après dix ans d'absence, dans mon pays natal. Et c'est pourquoi, de passage à Paris, j'ai tenté de m'acquitter de cette dette.
Je m'adresse à vous, la veille de mon départ pour Nice, et je vous prie de publier cette lettre dans Paris-Soir, qui s'est également occupé de moi. Par vous,, je prie tous nos confrères de me considérer leur obligé dans cette circonstance, ceux de l'Humanité en premier lieu, puis la Ligue des Droits de l'Homme, qui a écrit à sa section de Bucarest lui demandant de prendre ma défense.
Les faits ont été les suivants :
Le 25 août, j'arrivais à Bucarest sans me soucier de ce que le gouvernement de M. Bratiano pouvait penser de moi : j'avais mes papiers en règle et aucun acte répréhensible à me reprocher, pas même celui — très à la mode aujourd'hui — d'être le membre d'un parti socialiste quelconque.
Mais la Roumanie actuelle n'est plus le pays bourgeois, sachant respecter au moins ses propres lois, et, dès mon arrivée, un avertissement me fut donné, par le canal de la Sûreté; Générale, qu'il ne m'était pas permis de prendre contact avec les organisations ouvrières et que, si je ne voulais pas être battu dans la rue par nos fascistes, je ferais bien de garder ma chambre. Cette « Sûreté » poussait même la complaisance jusqu'à m'offrir deux agents en bourgeois destinés à me suivre partout, ainsi que cela se pratique avec tout personnage heureux de notre temps.
Ne me considérant pas si heureux, je refusai l'offre, mais j'écrivis un article dans lequel je dénonçais cette façon bizarre de défendre la liberté d'un homme. Là-dessus, je sortis, me promenai, me documentai, courus le pays en long et en large, décidé à me défendre par mes propres moyens et suivi d'une nuée de messieurs qui perdaient leur temps aux frais du peuple-prince {puisque nous n'avons pas de « princesse »).
J'ai visité des régions qui sont encore aujourd'hui telles qu'elles ont été au commencement du monde ; je me trouvai, pendant des jours et des jours, dans des chars à foin, sur des routes sauvages, ou au fil de la Bistritza sur des radeaux, flanqué du romancier-académicien Sadoveano, du professeur docteur Mironesco ; je n'ai pas été une seule fois voir une salle d'organisation ouvrière — et cependant, à mon retour à Bucarest, la Sûreté me fit de nouveau savoir que si je continuais à me frotter avec les... communistes (!) il s'ensuivrait des choses désagréables à ma liberté.
Comme vous voyez, je ne fus pas arrêté. ainsi qu'on l'a affirmé parfois en France, mais les vexations subies rue resteront longtemps sur le cœur, et je regrette que la folie policière n'ait pas été poussée à fond : c'eût été le meilleur moyen d'ouvrir les veux à ceux des hommes de foi qui hésitent encore entre un scrupule de leur conscience et un chemin net lorsqu'il s'agit d'être fixé sur le sort qui attend notre pauvre société actuelle. Je ne suis pas un homme méchant. Je ne connais pas la rancune. Je ne désire le malheur pour aucun de mes semblables, car je sais que la vie est assez terrible sans que nous nous donnions encore le mal de l'empirer par notre bêtise, mais, vraiment, si vous pouviez, vous autres publicistes d'Occident, vous rendre compte des horreurs qui se passent dans ce monde lointain (pas si lointain, pour les coeurs vivants !), vous en frémiriez. Car il ne faut pas oublier que quiconque se laisse mal renseigner sur la vie de nos semblables, sur leur souffrance, est un coupable.
Amis de France ! Le Danube est rouge du sang des vingt mille êtres humains innocents, massacrés par la terreur bulgare ! Les prisons roumaines regorgent de milliers de soldats et civils fautifs d'avoir eu peur et horreur, du massacre officiel ! Focsani et surtout Piatra-Neàmtz, villes peuplées de Juifs, ont l'air d'avoir subi le passage des vandales d'Attila, et ces pauvres Juifs, fautifs d'être juifs, sont poursuivis jusque dans leurs tombes, car leurs cimetières même. sont dévastés et profanés par la fureur antisémite. J'ai vu des hommes estropiés par le lynchage. On met des oeufs cuits aux aisselles. On brise les jambes. On arrache les ongles. On scalpe les crânes. Voilà leurs horreurs !
Et dire qu'on s'est ému, en France, simplement parce qu'un écrivain a été menacé d'arrestation ! J'en suis honteux.
Je vous remercie quand même mais je vous prie de penser davantage à ceux qui sont plus menacés que moi et qui souffrent sans espoir, alors que nous vivons presque tranquillement.
Panaït Istrati



Paris-Soir, 1er novembre 1925.

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