Le romancier de presse

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C'est bien qu'un traducteur est engagé dans son activité qu'il en arrive à fonder une maison d'édition afin de promouvoir les textes qu'il juge intéressants. Se transformer en éditeur, c'est aussi le signe que les éditeurs présents sur le marché ne sont pas trop intéressés, pas trop intéressants, et que l'on gagne du temps à fabriquer soi-même sa production et sa filière plutôt que d'attendre sempiternellement des avis, des opinions, de vagues engouements et de plus sûrs renoncements. Traduire est un labeur, tout labeur mérite salaire : Antoine Chareyre, qui oeuvre dans le domaine des modernités latinas, et en particulier brésilienne, depuis 2010, a changé son fusil d'épaule. Désormais, seul maître à bord, il maîtrise sa chaîne d'un bout à l'autre. De la fourniture du matériau à la perceptions des bénéfices. Pas idiot, n'est-ce pas ? Michel Volkovitch et Hélène Zervas, ont pris eux aussi le taureau par les cornes en lançant pour leurs traductions de la langue hellène leur propre marque : Le Miel des anges. Et on se souvient de la mise en oeuvre des éditions Interférences par Sophie Benech et son père traducteurs du russe. Verra-t-on la tendance se propager ?
En traduisant à nouveau António de Alcântara Machado (1901-1935), Antoine Chareyre poursuit, comme on l'indiquait, sur sa pente naturelle : elle le pousse à l'exploration des modernismes brésiliens du siècle dernier. Il avait donné déjà le Pathé-Baby (Paris, Petra, 2013) d'Alcadntara Machado — où l'on constate la concomitance du rapport au Kodak de Cendrars — et il poursuit avec son étonnant Bras, Beixga et Barra Funda, du nom de trois quartier de Sao-Paolo.

Tout comme celui qui naît homme de bien doit avoir le visage aliter, celui qui naît journal doit avoir un éditorial. La façade explique le reste.
Ce livre n'est pas né livre : il est né journal. Ces fictions ne sont pas nées fictions : elles sont nées informations. Et cette préface n'est donc pas née préface nn plus : elle est née éditorial.

Etonnamment proche du projet concomitant du Lotissement-Journal de Marguerite Grépon (Editeurs Associés, 1926), ce livre est saisi par le même pressentiment que la narration, et la poésie, doivent suivre une autre voie. Là encore Blaise Cendrars et Apollinaire sont passés par là. Préoccupé du sens de la vie et de toute chose, Alcântara Machado propose l'anecdote comme crible de ce qui pourrait se nommer " Le journal et la vie", un art à part, tout de spontanéité, de dialogues, d'onomatopées et de jets, ou d'intempestifs heurts.

Le match, dans la rue, semblait une affaire de vie ou de mort. Pourtant Gaetaninho n'y prêtait guère attention.

Le football, déjà, recueillait les suffrages. Sur son inspiration et sa méthode, Alcântara Machado s'explique encore aux abords de ses nouvelles :

Le journal est venu démontrer que la dite invention littéraire n'a jamais existé. Au fond, l'esprit d'invention est simplement l'esprit d'observation. C'est la vie qui invente et elle invente de mieux en mieux. Il n'est pas d'imagination capable de battre la réalité sur le terrain de l'extraordinaire. Parce que le journal n'était pas l'instrument de divulgation qu'il est aujourd'hui, et que par conséquent certains aspects du drame quotidien passaient inaperçus pour la majorité, l'intrigue semblait parfois un produit exclusif de l'imagination littéraire. il y avait la stupeur du lecteur. Et le manque de documentation contemporaine forçait d'un autre côté à exploiter le thème ancien, légendaire et historique. Les faits étaient vécus personnellement ou alors fournis par le passé. Aujourd'hui il suffit d'ouvrir le journal.

On serait curieux de savoir de ce que penserait Antonio de la société de l'information telle qu'elle se présente à nous. Tout à son paradoxal enjeu, faire de la littérature sans littérature, il est l'exact contemporain d'un Max Aub, et presque d'un Fénéon dans ses exercices en trois lignes, travaillant dans l'aporie leurs écrits, technique ultime de la littérature vraiment moderne. L'aporie s'impose chez le Brésilien, comme elle frappera dans le cinéma réaliste italien des années 1950. Montrer sans commentaire, mais montrer. Et la naturel du narrateur revient quoi qu'il en soit au galop...
Les nouvelles du volume, annotées avec gourmandise par le traducteur-éditeur démontrent qu'on avait tort d'ignorer ce Bras, Bexiga et Barra Funda, informations de Sao Paulo, une pièce remarquable de la littérature du siècle dernier.



António de Alcântara Machado Bras, Bexiga et Barra Funda, informations de Sâo Paulo. Traduction du portugais (Brésil) et édition par Antoine Chareyre. — Paris, L'Oncle d'Amérique, 2021, 21 €

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