Les Tortues (chapitre XIII)

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L'aube se leva ans un ciel rouge. Il y flottait ce sang qui stagne toujours après les orages de nuit, comme si la vieille nuit avait été blessée. Le matin l'étancha vite. Un fidèle petit flux nord-est faisait tampon. En d'autres temps j'aurais appelé radieuse cette matinée. Des mains de soleil étaient dans les vergues, fines et longues ; de gabiers sélectes dont le reste du corps demeurait invisible et qui descendaient nous apporter la paix d'en haut. Chacun, si adroit et agil qu'il vous faisait bondir le coeur de reconnaissance, ne se servait que d'une main pour son exercice ; dans l'autre il avait un bouquet de rayons. Sans doute était-ce ces rayons tressés, la sérénité — la cargaison du beau galion, le jour ? Mais quelle sérénité pour moi ? Maccaïbo, Vahély, le capitaine : de qui partirait le premier coup ? Bazire avait-il eu enfin cette conversation qu'il souhaitait ? Il me fixait par instants de son regard fureteur, gênant par son intensité. Les matelots s'occupaient tranquillement comme à l'accoutumée. Ils étaient heureux. Certes l'absence de Maccaïbo se remarquait : mais qui, un jour ou l'autre, n'a pas dans la tête cet oursin à cent dards de la migraine ? Il s'était fait excuser, et j'avais noté chez le capitaine un certain ennui à la nouvelle — un sursaut mal réprimé.
(...)





Loys Masson Les Tortues. — Talence, L'Arbre vengeur, 2021, « L’Alambic », 306 pages, 17 €

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