Et rien n'arriva

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La colonne traversa le kichlak sans ralentir et rien n'arriva.
Kostomyguine eut le temps d'apercevoir les sombres meurtrières des tours, les maisons à toit en terrasse, les vergers touffus derrière les douvals, la silhouette aux longues oreilles d'un âne près d'une grange.
A la sortie du kichlak, la route, devenue bien visible, se mit à descendre puis, au bas de la pente, plongea dans une rivière scintillante. Toujours sans ralentir les blindés forcèrent la rivière, large mais peu profonde, et continuèrent leur chemin.
Dans le kichlak aux vergers fleuris, Kostomyguine avait avalé des goulées d'air odorant qui lui avaient laissé dans la bouche un goût douceâtre. Il exposait son visage au vent tiède, sentant le poids de sa cartouchière sur le côté, appréciant ses rangers bien serrés, son treillis ample et léger, et tout lui plaisait : cette lune, cette steppe terrible, le goût sucré des leurs dans sa bouche, le confort de la tenue, l'arme contre sa poitrine, la course des puissantes machines dans l'immense plaine noire et blanche, sous la clarté d'étranges constellations.
(...)
Nous avons pris du retard", devina Kostomyguine.
Ils coururent longtemps, suant et avalant la poussière.
Kostomyguine soutenait d'une main son fusil, de l'autre sa gourde. Mais la cartouchière, de l'autre côté, le cognait durement, et il laissa retombe le fusil pour maintenir le sac. Là, le fusil, qui lui heurtait la poitrine lui faisait encore plus mal : il dut le reprendre.
Ils coururent si vite et si longtemps que Kostomygune sentit son souffle se transformer en râle : il se jura de ne plus jamais, jamais de sa vie, toucher aux cigarettes.
Enfin ils atteignirent la dernière colline et aperçurent dans la steppe les silhouettes des tours, des habitations et des douvals. Le vent venait du kichlak : Kostomygune reconnut le parfum caressant de la floraison. Le vent se fit plus fort, une puissante houle florale submergea les hommes, couverts de poussière, haletants, les vêtements mouillés et imprégnés d'une odeur âcre.
(...)




Oleg Ermakov Hiver en Afghanistan, traduit du russe par Françoise Gréchet. — Paris, 10/19, 1997, 6,50 €
Les autres ouvrages traduits d'Ermakov sont disponibles aux éditions des Syrtes.


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