Je suis transi. Voilà trois semaines passées. Tout s'est brouillé. Je n'ai même plus la force de gravir les sentiers de la colline. A trois reprises j'ai voulu pousser jusqu'à la sécherie, respirer un dernier soleil vanillé — essayer. Il m'a fallu renoncer. C'est fini. J'attends Bazire. L'après-midi s'écoule et, quand arrive le soir, je m'affole de ne pas le voir encore. Il m'a dépêché un éclaireur et c'est comme si déjà il était ici, invisible, infiniment menaçant — omniprésent. Je m'évertue à ne jamais avoir le dos aux ténèbres d'où il pourrait à tout moment surgir. Il voudrait me frapper par-derrière, je le sais, ou dans le sommeil. Mais je me battrai. Je ne dors plus. Je m'empoissonne de caches pour rester éveillé et ils ajoutent à mes effroyables douleurs d'estomac. Tant pis ! Je ne me laissera pas surprendre; je suis prêt. Je suis armé. D'autant que tout le paysage m'affirme que Bazire est à pied d'oeuvre — que le temps est mûr. Les coqs des bois se sont réfugiés du côté du vent comme ils le font toujours, en amont du vent où sa voix et sans doute son odeur ne puissent leur parvenir. A la lisière du verger, il reste un vieux mâle à la crêt rousse et flétrie. Je le connais bien ; il est à chaque fois le dernier ; c'est la sentinelle. A l'heure dite, il caquètera un long tocsin et s'en ira. Déjà il s'essaie à demi-ton dans sa prudence de très vieux père. L'oiseau-banane, lui, crie et crie et souffre ; il vole d'une branche à l'autre furtivement, s'écartant à mesure, revenant, se renvolant un peu plus loin, comme pour m'habituer à son proche départ. Charité de tout petite ange ! Et je pleure et dans le ciel croise la misécorde aux voiles gonflées -— et je ne l'attendrai pas...
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Loys Masson Les Tortues. — Talence, L'Arbre vengeur, 2021, « L’Alambic », 306 pages, 17 €