Le vieux coq du verger est mort. Il a eu un dernier, long cri — une plainte ; ensuite il a caqueté cinq ou six fois, presque silencieusement, c'était tout au plus comme le bruit d'un soufflet... et au loin les coqs et les poules, sa famille, menaient un deuil de trompettes. Je ne l'ai pas enterré. Je l'ai laissé dans l'herbe. Ses plumes ternissent vite ; déjà l'anthracite et le pétrole s'y sont éteints. Il porte une blessure à la tête ; on la lui a écrasée à demi. Une mangouste ? Ce n'est pas le genre de blessure que fait la mangouste : elle s'attaque au jabot tout droit, atteinte la carotide et s'enivre. il s'agit d'un coup de pierre ou de bâton. Moi ? Moi, mon Dieu ? Depuis hier la question me déchire. Je sais que j'ai eu une furieuse crise au cours de laquelle je me suis livré à un démon de destruction que je connaissais trop bien autrefois. Je ne me souviens de rien ; je ne me juge qu'aux dégâts, dans la maison et dehors. Mais je n'ai pas tué cette bête, c'est impossible. Je suis certain que j'étais revenu dans le calme lorsque j'ai entendu son caquêtement d'adieu. Il avait un autre ennemi, cet autre ennemi caché depuis plusieurs jours dans le feuillage et qui me guettait, moi, avec sa pierre... Il est tombé sur le côté droit. Il vit encore dans ce qu'il y a en lui de rouge et de rose ; mais cet anthracite et ce pétrole heureux étaient les couleurs de son amour, ce que contemplaient les poules au temps de la pariade. Il y a un peu de sang sur l'herbe, il a rouillé. l'herbe est droite et humble. L'oiseau-banane voyage maintenant à l'autre bout du pays. Si je pouvais faire comme lui ! Mais où trouver une maison et où retrouver des habitudes ? Je suis trop vieux pour me passer d'habitudes : c'est mon oxygène. Et bazire toujours me suivrait, de toute façon...
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Loys Masson Les Tortues. — Talence, L'Arbre vengeur, 2021, « L’Alambic », 306 pages, 17 €