Saul Bellow répond à Norman Manea

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Une excellente introduction à l'oeuvre de Saul Bellow — ou une excellente incitation à y retourner voir, cet échange de 1999 engagé entre le prix Nobel (1915-2005) et l'écrivain roumain installé aux USA.

Culture, identité, vie, mort, littérature, langues, toutes les questions que l'on pouvait avoir envie de poser à Saul Bellow — qui continue de se marrer à la lecture de son Faiseur de pluie, bel exploit — trouvent dans ces pages des réponses nourries, qui ne peuvent que donner envie de découvrir Herzog ou Ravelstein.
Quelques fragments donnent une assez bonne idée de l'ensemble, et, en particulier, de la subtilité du personnage, qui déclarait que "la phénoménologie personnelle est le secret de la condition d'artiste." A propos de l'exil de ses parents de Russie, cette question de Manea : "Et que ressens-tu maintenant que ce monde est révolu ? Par rapport au yiddish d'abord, mais aussi à un certain type de sentiment, de sensibilité". Réponse de Bellow :

C'est une grande perte. il s'agit d'un mélange de sensibilités russe et juive, je pense. Les juifs appréciaient beaucoup la sentimentalité russe. Tant que cette sentimentalité ne se transformait pas en meurtre, comme c'était souvent le cas..."

Il y eut pour la famille Bellow le Canada, puis pour Saul les USA et la littérature, jusqu'au prix Nobel dont la remise, qui transporta toute la famille Bellow en Suède, est l'occasion d'une description assez amusante. Les deux hommes reviennent sur la jeunesse polyglotte de Bellow, sur sa carrière, ses rapports à sa famille naturellement, sur son univers créatif et, plus généralement sur l'ordre du monde...

Je n'avais pas une image bien définie de l'écrivain. Je vais te dire ce que je voulais : à partir du moment où j'ai posé mon regard sur ce monde, j'ai eu le sentiment de sa soumission à une idée d'ordre qui n'a jamais fonctionné pour personne.

La littérature jaillit bien sûr au cours de l'entretien, lorsque Bellow évoque Esseulement de Rozanov, Isaac B. Singer ou, forcément, Céline, ne manquant pas de remarquer le caractère fort en gueule du personnage, cause, selon lui, de ses dérives :

Céline reste une terrible énigme, tu le sais bien, pour tous les romanciers. C'est un écrivain superbe, mais humainement, c'est aussi un type impossible. On pourrait penser qu'il s'agit de nihilisme. Oui, mais du nihilisme puissance mille. Ce n'est pas juste du nihilisme. Que Céline ait pris position sur les juifs comme il l'a fait pendant l'Holocauste, et après... C'est le fait d'un frimeur. Cela n'a pas de sens. Il ne pouvait pas croire ce qu'il disait, autrement où aurait-il trouvé tout le raffinement intellectuel qui lui a permis d'écrire ces romans extraordinaires ? Céline était une énigme désagréable pour nous et je n'arrivais pas à comprendre pourquoi tant de juifs rejoignaient en tout bonne foi et conscience les rangs de ses sympathisants. Je me mettais en colère à ce sujet - "Mais non, non et non, c'était un grand artiste et par conséquent tout doit lui être pardonné ! ". Bon, j'ai entendu le même argument à propos de Wagner, c'est un argument qui me sortait carrément par les yeux et que je ne pouvais plus accepter. mais Sartre, il m'exaspérait d'une autre façon, bien sûr.


On retiendra aussi cette aimable solution à l'inévitable trépas, inspirée par l'observation d'un chat siestant sans souci au soleil...

La seule solution semble être de mourir heureux, ou dans un moment de bonheur, pour échapper à la morosité de notre destin tragique.


Encore un excellent volume de La Baconnière...


Saul Bellow Avant de s'en aller. Une conversation avec Norman Manea. Traduit de l'anglais et du roumain par Marie-France et Florica Courriol. — Genève, La Baconnière, 160 pages, 11 €

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