Des graffiti pour se souvenir

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Les éditions Héros-limite, qui font toujours les choses très bien, et très soigneusement, nous rendent un grand service en rééditant Les Murs de Fresnes d'Henri Calet sous une forme que les amateurs de livre apprécieront (le livre est vendu relié).

Dédié à ceux qui sont passés par là.
Aux morts et aux vivants.

Ca n'est pas un livre comme tous les autres, c'est le fruit d'une enquête pour le supplément hebdomadaire du journal Combat (28-19 avril 1945) et probablement le reportage le plus célèbre de Calet : il y avait le 24 avril 1945 visité la prison où les occupants allemands enfermaient les résistants capturés, et il en avait recueilli les graffiti laissés par les victimes de la répression nazie. Traces légères d'un passages, message aux proches, ou simple mention comme acte de présence pour "Edouard le Nantais" qui n'ajoutait qu'une date, cédant au temps futur le soin de faire savoir à ses proches qu'il avait été enfermé là. Les murs, les livres et même les gamelles portent dans la prison de Fresnes en 1945, de ces signes ténus et douloureux.
Reporter connaissant bien son métier, Henri Calet a poursuivi jusqu'à la tombe de Bertie Albrecht, la cofondatrice de Combat, son recueil des traces de cette bataille de l'ombre. Il les confronte au fac-similé des redoutables archives nazies portant le tampon gras "NN" de Nacht und Nebel (nuit et brouillard), le plan d'extermination.
Discret, Henri Calet s'était fait le scripte de ces paroles et les a porté au dehors des cellules, aidé en cela par les éditions des Quatre Vents qui publièrent très vite, au mois de novembre suivant, un livre reprenant photographies et fac-similé. Il n'échappait à personne le caractère terrible et douloureux de ces témoignages qui, aujourd'hui encore, nous parlent :
"Où passerais-je mes 19 ans ?" se demande un jeune homme, tandis que Jaconelli dit Le Valeureux nous fait savoir qu'il a été arrêté comme F.T.P. le 12 avril. Pour Calet, c'est un "annuaire de la résistance" où figurent Zébu, Petit Jean, d'autres encore, un Américain, un Anglais écrivent à leur tour, tandis que le maître Sacha Rabinsky dit adieu aux Ballets russes... L'inéluctable vérité des traces fait jaillir tous ces instants de désarroi, de douleur et, parfois, un maigre sourire, ou une forfanterie pleine de bravoure. L'humanité sans fard, comme nous le décrit le journal mural de Juliette la dactylo, épouse de Robert de L'humanité, et mère de Serge. Tortures physiques et psychologiques. Son journal nous apprend que ses codétenues lui ont fait passer une robe cousue dans une couverture car elle n'a qu'une robe d'été légère. Fusillée bientôt, mais elle a eu le temps d'écrire : "Vive La France. Vive le Partie communiste français. Vive l'Armée rouge. Vivent les alliés".
Un livre inoubliable, à relire dès que, ici ou là, certains se déclarent favorables à des enfermements.



Henri Calet Les Murs de Fresnes. Préface d'Adrien Aragon. 25 reproductions.— Lausanne, Héros-limite, 2021, 124 pages, 24 €

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