Feue Hambourg

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Il est parmi les derniers à avoir fréquenté Maurice Sachs, l'Allemand anti-nazi Hans Erick Nossack (1901-1977), romancier et nouvelliste de l'immédiat après-guerre, - génération assez négligée depuis les publications françaises des années 1960, et dans leur pays aussi... - fait sa réapparition grâce à la nouvelle traduction de Jean-Pierre Boyer et Silke Hass d'une magnifique novella, L'Effondrement, issue du recueil Interview avec la mort (1948, initialement traduit par Denise Naville, Gallimard, 1950).
Nossack y témoigne de l'opération Gomorrhe, menée par les Alliés en 1943 dans le but d'écraser la ville de Hambourg sous les bombes. Installé temporairement dans une petite maison de la campagne proche quelques jours avant les vagues d'attaque, il décrit admirablement la tempête de feu aux embrasements lointains, les ciels grondant d'infra-basses envahis de bombardiers en haute altitude, les échanges hystériques des projecteurs de la défense au sol, puis le désarroi du million de réfugiés qui erre, sans abri et sans but après que leurs 350.000 habitations ont été réduites en miette.
Plus que l'effondrement de la ville, c'est l'effondrement des êtres que décrit Nossack, frappé par la sidération, lui aussi, et dans un état de prostration qui confine à "accroupissement animal"...

"Comme nous ne croyons plus en nous-mêmes, que sommes-nous encore ?"

Tout courage consommé reste l'abattement et non, comme le pense Maurice Nadeau qui rend compte d'Interview avec la mort dans Combat (15 février 1951), une "délectation morose". Nossack parvient à exprimer ce qui vrille les esprits après des années de guerre. La destruction de tout, nihilisme d'importation accepté, vaut soulagement, quand bien même... Et Nossack parvient à exprimer cette ambivalent soulagement, que beaucoup ruminent par devers-eux. (Entre parenthèses, n'est-ce pas un peu similaire à ce que l'on a pu espérer chacun au début de la crise du Covid-19 avec son mémorable confinement : si le monde ancien déraille, qu'il explose totalement !).

Ceux dont on savait qu'ils avaient vécu des heures inimaginablement atroces, avaient couru enflammés à travers le feu et trébuché sur des cadavres carbonisés, sous les yeux desquels et dans les bras desquels des enfants mouraient asphyxiés, qui voyaient s'écrouler leur maison dans laquelle leur père ou leur mari venait de retourner pour sauver encore un petit rien, tous ceux ui, des mois durant, espéraient des nouvelles de disparus et qui, pour le moins, perdaient tout leur bien en quelques minutes pourquoi ne se plaignaient-ils pas et ne pleuraient-ils pas ?

Quand bien même... la ville n'est plus qu'un "océan de pierres" curé par les bombes au phosphore. Dépossédés de leurs biens, et parmi ceux-ci, du plus précieux parce qu'irremplaçable, leur passé, les Hambourgeois sont embarqués dans un exil intérieur, métaphysique d'une cruauté sans égal.

Né au cours d'une guerre, usé au bout d'une autre et entre temps rien qu'un intervalle essoufflé, qu'est ce qui nous attacherait à la vie ? Qu'on nous donne un somnifère.

Dotés d'une existence désormais dénuée de sens, "Tous les maques sont tombés". On songe naturellement à Hans Fallada pris au piège de ses addictions, comme s'il cherchait à fuir cette puissance "inconnaissable" qui tyrannise la population plus que l'ennemi, Nossack parvient à dire simplement mais très nettement les subtiles évolutions d'une pensée d'êtres humains bousculés par l'Histoire tout à coup placée à leur échelle.

"Ce dont il convient de se garder, c'est des grands mots"




Hans Erich Nossack L'Effondrement. traduit de l'allemand par Jean-Pierre Boyer et Silke Hass. Postface Walter Boehlich. - Héros-limite, 77 pages, 16 €

H. E. Nossack en quelques dates
1901 (30 janvier) Naissance à Hambourg
1913 Ecrit ses premiers vers
1920 Les Expressionnistes l'impressionnent
1922 Cesse ses études de droit, philologie, médecine. Devient ouvrier en usine, voyageur de commerce, employé de bureau
1925 Mariage
1929 Séjour au Brésil
1933 S'embauche dans la maison paternelle d'importation
1943 Ses notes et manuscrits sont détruits avec Hambourg
1947 Classé indésirable, il n'a rien publié avant cette date : Nekyia et des poésies
1948 Interview avec la Mort
1949 Le Clan de Caïn
1977 (2 novembre) H. E. Nossack s'éteint à Hambourg.


Prochainement sur l'Alamblog au sujet des lettres germanophones : Prison, d'Emmy Hennings (Les Mont métallifères, 2022).

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