Les affiches (selon Sentenac)

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L'art dans la rue
Les affiches

Toutes les œuvres d'art ne sont pas abritées dans les Salons ou dans les galeries. Il y en a aussi en plein air, en plein vent, dans la rue. Les clôtures, les hautes palissades de planches derrière quoi l'on cache les bâtisses en construction ou en réparation deviennent des cimaises pour les affiches. Pourquoi ces grandes images ne seraient-elles pas aussi des œuvres d'art dans notre Paris, centre artistique par excellence ? Regardons les affiches lorsque nous passons dans la rue, sur les avenues, quand nous longeons les souterrains du métro. Beaucoup-de gens parcourent la rue qui n oseront jamais pénétrer dans le sanctuaire d'une galerie de tableaux. Loin qu'ils demeurent indifférents devant ks manifestations artistiques, les passants hésitent quelquefois à pousser la porte d'une boutique d'art, cette porte qui s'ouvre sur des tapis moelleux. En arrêtant les yeux sur les affiches coloriées, on pourra en découvrir parfois qui revêtent plus d'intérêt que beaucoup de peintures accrochées dans une galerie. Certes, toutes affiches ne méritent pas d'être considérées avec attention, toutes ne nous séduisent pas. Mais il en est de même dans une exposition. Combien y a-t-il de tableaux vraiment réalisés et originaux pour une foule de médiocrités ?
Il n'y a pas longtemps que les divers quartiers de Paris ont pris cet aspect pimpant, bariolé, attrayante grâce à ces images en couleurs, collées sur des panneaux, contre les murailles. L'affiche illustrée ne date guère que de la fin du siècle précédent. Chéret, Cappiello ont beaucoup contribué à son succès. Que nos boulevards — il suffit d'y penser — seraient monotones, s'il n'y avait que de maussades placards imprimés, sans coloris, ni dessin. Des placards pour réunions électorales pour des ventes par-devant notaires ou par licitations.
Par contre, l'affiche en couleurs, lorsqu'elle est spirituelle, égaie un coin .le rue. Harmonieuse. elle offre à nos regards une véritable délectation. La publicité en étendant toujours son domaine à notre époque, nous vaut toute une série de personnages des plus variés et des plus vivant. C'est une comédie aux cent actes divers qui se joue sur les murs parisiens en l'honneur de tel ou tel savon, d'un appareil de chauffage ou d'un apéritif. Du blanc Pierrot qui souffle dans une bulle de savon pour imiter les poètes jusqu'au petit page médiéval d'un rhum que je si# nommerai pas, quelle troupe verbicolore et animée où prennent place d'orientales figures des Mille et une nuits, des créations d'une fantaisie burlesque. Tout le divertissement des mascarades et des turqueries.
Au début de chaque saison, au printemps comme en automne, les affres pour les grands magasins de nouveautés dépeignent, à la manière que se succèdent les mannequins chez le couturier, tout te défilé des élégances féminines de la capitale.
Les Parisiennes de René Vincent et de Fécond paraissent avoir été enlevées sur les avenues, parmi les parfums persistants des poudres et des fards pour être affichée dans leurs gestes de vie. Brunelleschi s'est complu parfois à mêler à nos élégances actuelles quelque chevalier Printemps qui rappelle, dans une facture toute moderne, les petits marquis déguisés en bergers du temps de Watteau.
Les affiches de théâtre sont parmi les plus réussies. -Des artistes de talent s'emploient à représenter nos acteurs et nos actrices. Que l'on songé à la tête espiègle de Mistinguett avec ses mèches blondes débordant une petite capeline rougeâtre, au profilée Polaire dans Maison de Danscei aux faces de Brasseur, de Marcelle Yrven, à tous ces autres masques expressifs exécuté par Orsi.
Nous retrouvons aisément dans notre souvenir le visage aux courts cheveux bleus, au nez légèrement retroussé de Jane Marnac par Gesmar, qui vient de camper en pied et dans les ramages d'un châle, Jane Marceau.. Et la Napierkowska dansant d'Orsi, et Fabris, et Maud Loti assise avec son chien sur un divan et Yvonne Printemps en Arlequin aux losanges blancs et noirs. Jean-Gabriel Domergue n'a pas dédaigné de devenir affichiste pour fixer Rosalia Lambrecht, sous un large chapeau de paille et dans les volants d'une ample robe, ou encore l'habit noir, le haut-faux col et le nez de Rozenberg dans Le Couché de la Mariée. Henry Bataille, lui-même, a signe des dessins figurant ses interprètes et destinés à l'affichage. Et notre grand Toulouse-Lautrec donc ! Quelle intensité dans son Bruant, dans la Jeanne Avril ou dans La Goulue.
Tout naturellement, les grandes images annonçant sur de panneaux dans le moment que roussissent les feuilles des marronniers, le Salon d'Automne se montrent artistiques. Elles sont dues à Bonnard. Laprade, Marquet, René Piot, Valtat, Jaulmes. Ceux-ci possèdent un esprit de décorateurs.
Mais, pour une affiche intéressante, combien y en a-t-il de négligeables, et même de franchement mauvaises ? Celtes des divers emprunts ont. été quelconques par l'exécution autant que par le sujet, quand pas été détestables par le poncif de l'allégorie..Elles n'étaient pas. laites pour inciter à dénouer les cordons de la bourse, de même que certaines compositions, chaudement colorées, des Compagne de navigation ou de chemins de fer invitent au voyage.
Une véritable affiche exige des qualités particulières. II importe tout d'abord qu'elle donne dans la vue, par la synthèse des lignes et par les tons corsés. Mais les couleurs, quoique vives, seront aussi harmonieuses. En un mot, les affiches doivent être décoratives. Il est. souhaitable qu'elles apposent dans la rue des taches d'un éclatant attrait, comme celles des kiosques de journaux où sur les couvertures des « illustrés", chatoient des images de. coloristes doués. Ou comme ces taches aux fraîches colorations qu'assemblent les bouquets dans les baraques ou sur les voiturettes des marchandes de fleurs.
Paul Sentenac



Paris Soir, 22 avril 1926.

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