La poésie pure (par P.-N. Roinard)

POeroinar.jpg


La poésie pure

Sous les avenirs successifs qui sans cesse jugent les passés, tant de gloires et de théories célèbres tombèrent en l'oubli' que j'éprouve un profond malaise quand, devant moi, l'on proclame ou l'inexistence de l'Impossible ou la possibilité d'une Poésie pure.
La force humaine se limite à des progrès si relatifs, si lents et aléatoires, qu'elle ne peut, en somme, qu'avoisiner de loin la pureté parfaite.
La Poésie pure à de laquelle se réclament M. Paul Valéry, l'abbé Brémond et beaucoup d'autres dont les efforts s'avèrent très louables et dignes de respect, leur reste inexorablement interdite, de par notre impuissance originelle. Le patient et. consciencieux auteur de Charmes, à l'exemple du maître insurpassable que fut Stéphane Mallarmé, entend pousser toujours avant, vers le fini, les rythmes de ses vers au risque de se perdre en de subtiles obscurités même inintelligibles parfois pour ses plus fervents admirateurs.
Comme je répugne au rôle méchant des chercheurs de tares, je ne signalerai rien dans son œuvre qui pourrait appuyer mes dires.
Mais qu'on me permette, à mon grand remords, de souligner pour soutenir ma thèse, une faute de valeur (selon la. technique traditionnelle dans l'œuvre si châtiée de notre maître à tous, Mallarmé.
Cette faute ne le diminue eu aucune façon, mais démontrera que les plus purs d'entre nous demeurent sujets à l'erreur.
Le sonnet fameux sur Le Tombeau d'Edgar Poe, au lieu de finir, débute par le vers le plus éclatant du poème, ce qui contrevient à la principal loi du sonnet selon la formule :
Tel qu'on lui-même enfin l'Eternité le [change.
Ce vers, un des plus beaux que je sache, créé par le génie humain, ce vers d'une structure si solide et de pensée si profonde, fait pâlir eçf autre merveilleux alexandrin de chute :MMM Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur .
Je crois que tout le monde sur ce point approuvera ma très respectueuse critique. Et puis, en somme, il importe peu que le vers suprême se trouve au commencement au lieu de terminer le poème, quand il se propose, si ferme et avec un pareil éblouissement.
J'ai voulu signifier par cette citation que le poète, si maître qu'il soit de lui, de son goût et de son verbe, en cherchant l'expression définitive de sa forme et de son rêve, peut s'écarter de la préalable Conception de ses rythmes et de sa prime cogitation, sous l'empire et la fougue de son tempérament.
Combien et des plus géniaux se trouvent inférieurs à leurs efforts, trop souvent, à cause des. impossibilités implacables qu'ils n'ont pu surmonter-et. qu'ils déplorent tant qu'ils se relisent avec les reculs nécessaires pour bien nettement apprécier toutes les œuvres, même Jes mieux achevées.
Le talent se satisfait de peu, le génie tend toujours à se surenchérir. Boileau paraît constamment égal à lui-même, parce que son labeur n'exige qu'une servile subordination aux banales règles consacrées. A rencontre, le génie ne se contente point de cette médiocre ambition de l'art.
Au risque de se laisser emporter aux plus hautes quintessences, il tend vers une ascension toujours croissante. De là ses erreurs et souvent une apparente ou flagrante inégalité dans la production.
Comme le profère Jules Laforgue dans un cri de lassitude : « Que la vie est quotidienne ! »
Or, le génie ne saurait, ainsi que l'existence, se résigner à demeurer quotidien.
Les ouvrages cursifs et de hâtive improvisation seuls donnent l'impression d'un niveau permanent.
Je semble ressasser, ici, des vérités La Paliciennes et, pourtant, il faut, avec sincérité, les opposer à des téméraires qui se vantent d'atteindre l'Absolu.
Non, la Poésie pure ne jaillit jamais qu'en éclairs de cerveaux soudain illuminés par de phénoménales illusions !
Les routes d'humanité, pour notre dam, se bordent de ces arbres parasites qui projettent plus d'ombre que de fleurs et fruits, de ces arbres. très décoratifs qu'on nomme sophismes.
Si nous envisageons, de haut, tous les superbes poètes qui chantèrent depuis les bibliques jusqu'aux plus récents modernes, nous ne rencontrerons, aussi bien en pensée qu'en technique, aucune œuvre supérieurement pure ou égale.
Je n'ignore point que la Poésie pure se définit : poésie ineffable d'où les postulats sociaux, religieux et politiques doivent demeurer bornés comme indignes et trop contingents. Eh bien ! - non ! Tel que le dit un, très grand latin : « Rien de ce qui est humain ne saurait me laisser étranger. »
Depuis Homère, avec l'IIliade et l'Odyssée, depuis Eschyle, avec Prométhée, depuis les Eglogues, les Géorgiquès et l'Enéide de Virgile, jusqu'à Shakespeare avec le Roi Lear, Macbeth. Falstaff et voire ce chef-d'œuvre, La Tempête, depuis Ronsard, Corneille, Racine, jusqu'à ce génie si puissant, si radieux, et parfois si défaillant, que s'avère Hugo, depuis cet autre inspiré qui s'appelle Goethe et gui, mécontent, de son œuvre, refit son célèbre Faust, nul de ces merveilleux hommes de lumière n'écarta par système les éternelles et vivantes contingences de là vie sociale.
Ils savaient tous que dans notre morne existence, dans ses douleurs, ses crimes et plus noires bassesses, il faut puiser l'inspiration et l'émotion qui suggèrent toute poésie pure ou impure et que, de là, seulement, s'élance épanouie la vraie source qui retrempe et vivifie. Aussi, je répéterai à satiété ce conseil à mes amis : « Mieux vaut chercher et se tromper que ne rien chercher de peur de se tromper !
C'est pourquoi je ne redoute rien des surréalistes et leur garde une confiante tendresse. Jeunes, ils marchent au Futur sans épouvante des erreurs, et, ne l'oublions point, ce sont eux qui régénéreront la poésie caduque, qui nous absoudront ou nous condamneront, aux accents d'une Chanson qu'ils tendent ardemment à recréer, neuve.
Qu'importe si, messagers d'une aurore, ils succombent en route Nul loyal effort ne reste vain.

P.-N. Roirnard.




Paris-Soir, 29 mai 1926.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/5614

Haut de page