Pour atterrir aux pays noirs
Jetées, hangars, carènes de rebut, ferrailles entassées que le (loi vient ronger ;
ARSENAL, CASERNE, BUREAU.., mornes bâtisses qu'un drapeau consacre ;
Et de toutes pareil les maisons de commerce, aux murs blindés de boites de conserves, expédient leurs renforts de bouteilles d'alcool à la conquête des pays nouveaux ;
Terrasses d'estaminets où verdoie l'absinthe, oii la bonne humeur dé nos chers colons ne se dément pas; la mairie, l'hôpital, une église en forme de grange ;
Et vers le haut quartier, dans les cabanes en débris de vieilles caisses, par les cours palissadées avec les douves des tonneaux pourris, grouille, s'agite, ainsi qu'une tribu de chiffonniers, la population nègre affublée de loques jetées par l'européen, bourgerons d'ouvrier ou vareuses de matelot...
L'éclatant soleil tropical insulte à la pauvreté du spectacle ;. il en accentue avec ironie les moindres détails; une chaleur torride nous rappelle à tout instant que "ceci est de l'exotisme" ; et le passager qu'une escale de quelques heures a jeté dans Dakar, celui qui désormais a vu le Sénégal, tremble qu'on l'oublie, court en toute hâte vers son vapeur qui là-bas siffle le départ, — vers quelle autre désillusion ?...
Les vieillards du pays se souviennent des jours où les blancs se tenaient prudemment à Gorée, îlot qui dort au milieu de la rade, et maintenant pareil à un sépulcre avec ses maisons vides blanchies à la chaux. Alors, sur le continent, du haut promontoire jusqu'à la mer, les huttes nègres seules dévalaient, tel un troupeau altéré par ce ciel de feu. Labyrinthe où des enfants nus se roulent tout le jour sur le sable brûlant, trois groupes de chaumes pointus égayés de feuillages, ou parfois s'espaçant en petit forum autour de de quelqu'arbre majestueux, rappellent l'ancien village ouolof; chaque jour leurs clôtures sont jetées bas ; les bicoques se multiplient ; tout aura pris bientôt ce même aspect d'une lamentable banlieue.. (...)
Azal Sylves noires. - Paris, Darangon, 1901.