D'emblée Paola Italia crache le morceau : la France est le pays le plus gaddien du monde (1). Voilà assurément quelque chose dont nous pouvons être fiers. Au point d'avoir une double traduction de L'Affreux Pastis de la rue des Merles...
Très récemment encore, Philippe Bordas faisait un étrange numéro de paon à propos de Carlo Emilio Gadda. En guise de Graal, il ramenait sa gapette ou un vieil imperméable, l'excellent prétexte pour nous raconter de long et en large sa quête.
En Italie, en revanche, Gadda n'est pas un sujet de plaisanterie ou de dévotion. Paola Italia est une universitaire qui vient de passer trente ans de sa vie à étudier les manuscrits de l'écrivain, au point que l'on ne trouvera sans doute pas de spécialiste plus affutée sur le corpsu. Elle est d'ailleurs avec deux collègues, Giorgio Pinotti et Claudio Vela, l'éditrice de la nouvelle version de ses oeuvres complètes (Adelphi). On peut lui faire confiance. Lorsqu'elle aussre que le DIctionnaire universel d'histoire et de géographie de Bouillet (Hachette, 1893) était le livre le plus important pour Gadda, on la croit. Tout lectrice ou lecteur imprégné des proses de Gadda sait qu'elle a raison.
Son oeuvre est parvenue en France à partir de 1963 avec la première traduction, celle d'Affreux Pastis... et ce, jusqu'en 1992, date de publication, grâce à Dante Isella des derniers "textes cachés au sein des fameux coffres de l'ingénieur" (La Mécanique, Le Seuil, 1992). Outre une poignée de fanatiques, elle donnera naissance à deux essais de G. Roscioni, La Disharmnoine prérétablie (Le Seuil, 1993) et de J.-P. Mangarano, Le Baroque et l'Ingénieur (Le Seuil, 1994). L'essai de Paola Italia, particulièrement utile, ne donne pas lieu à une analyse littéraire à proprement parler mais, mieux, à une analyse des sources et à ce quelles révèlent. Qualifié de "rétif ingénieur", Gadda était fils d'une professeur de français. Il savait très bien ce que porte la langue et, comment il s'agit de la façonner.
Paola Italia prend appui sur ce questionnement de l'ingénieur : « Comment je travaille ? » (1949). Il répondait aussitôt, aussi astucieusement : « Comment je ne travaille pas », indiquant par là qu'une partie de son art échappait à la volonté de l'auteur, voire même à sa capacité d'observation ou d'analyse. Et c'est tout l'intérêt de l'étude des archives (notes d'enfance, etc.), sources, manuscrits, bibliothèque personnelle que de dire, en mêlant le "physique" de l'acte d'écrire, et l'intime quotidien du "vivre", autre chose que ne formule pas la critique ou l'auteur. Ainsi de ces notes marginales lors de ses lecteurs (certaines touchantes, amusantes), les strates de différentes corrections de ses manuscrits (avec "becquet d'insertion s'il vous plaît)... tous écrits créant un terrible « enchevêtrement, ou nœud, ou écheveau, de relations physiques et métaphysiques ». Puisqu'autocensure il y a aussi, et confusion des souvenirs, ou jeu d'auteur, comment savoir.
A propos de L'Incendie, Gadda disait sur la RAI le 4 septembre 1962 :
Le récit auquel je fais allusion a été écrit d'un seul jet pendant deux aprs-midis d'été, en juillet 1930. Il est donc exclu qu'il s'agisse de la mise en oeuvre d'artifices compliqués, comme certains critiques peu brillants l'ont affirmé.
Paola Italia de commenter :
(...) l'affirmation (...) ne coïncide pas avec les dates acutellement en notre possession : le nombre et l'aspect des différents brouillons ème le doute (...)
L'inspecteur Italia mène l'enquête, et c'est passionnant.
Recommandé à tous les lectrices et lecteurs de C.-E. Gadda frappés par l'intérêt de ses écrits, un voyage passionnant dans les replis du temps.
Probablement le livre de la rentrée.
Paola Italia Dans l'atelier de... Carlo Emilio Gadda, traduit par Claire Riffard. - Paris, Hermann, coll. "Dans l'atelier de...", 2023, 200 pages, 19 €