Morosité de Victor Offroy

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Morosité

Bien heureux celui dont la veine
Peut donner au public, une fois par semaine,
Une prose élégante, un vers de bon aloi,
Mais plus heureux dans sa retraite
Celui qui, s’amusant d’une étude secrète,
Ne lit que pour s’instruire et n’écrit que pour soi.
Quelque talent que l’on possède
C’est un méchant métier que décrire aujourd’hui ;
Célèbre, un jaloux vous obsède,
Obscure, s’il est connu, votre œuvre vous a nuit.
Pour créer un chef-d’œuvre, en vain votre esprit veille,
Il ne peut dire rien qu’un autre n’ait dit mieux,
Pour des lecteurs blasés il n’est plus de merveille,
Et tout genre à présent est un genre ennuyeux.
Et puis, qu’à-t-on besoin d’un poëme en ce monde
Où les vers les plus beaux sont des vers superflus ?
Le poëte et son luth dans tout ce bruit qui gronde
N’est qu’une voix qui chante et qu’on n’écoute plus.
Bien faire passe avant bien dire,
La bonne œuvre vaut mieux que le plus bel écrit,
L’Enthousiasme de la lyre
N’est que l’accès d’un fou dont le sage se rit.
Je pourrais aussi faire un livre
Et laisser un nom après moi,
Mais à quoi bon chercher à vivre
Où la mort tient tout sous sa loi ?
Un écho dans le vide, un bruit noble ou fatal,
Qui fait qu’on écrit bien, que l’on calcule mal,
Et que pour vivre en la mémoire
On meurt souvent à l’hôpital.
Je préfère à tout vain délire
Ce que le bon sens me prescrit,
Et si j’ai quelque peu d’esprit,
Le garder pour me bien conduire.

Victor Offroy



Hymne au soleil. Une excursion dans le Berry et la Touraine. — Dammartin, Lemarié fils, 1874, pp. 150-151.

N.B. Internet n’étant point fils de Gutenberg, il faut préciser ici que les vers courts devraient tous être précédés d’un quadruple cadratin. Cadraquoi ?

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