Les temps sont durs pour tout le monde

ClaudeAnet.jpg Claude Anet


Un pan actif de la vie littéraire souffre. Je ne parle pas des lecteurs (qui rament diablement s'ils se contentent de la production contemporaine d'auteurs nouveaux), ni même des libraires (ah qu'ils doivent regretter d'avoir trouvé pratique un jour le système de l'office), ni même de la critique littéraire (le Monde des livres est le symptôme manifeste de la dilution totale des esprits dans l'eau de vaisselle); je parle des libraires d'anciens.
Voici ce que nous écrit William Théry, un maître en la matière :


Ne stigmatisez pas les collègues qui n'envoient plus de catalogue papier. La plupart ont perdu leur clientèle, laquelle achète presque exclusivement sur internet. En 2008, les libraires sont heureux quand ils vendent 30% du contenu de leurs catalogues... Il n'est pas rare de stagner à 25, voire 20 ou 15 %. Ajoutez à cela le coût des frais postaux. Donc, j'adresse les catalogues par courrier électronique à ceux qui sont informatisés mais je continue d'envoyer des catalogues papier à ceux qui ne le sont pas.
(...)
William Théry



Pour satisfaire votre légitime curiosité, voici quelques items piochés dans son plus récent catalogue :



2.- Claude ANET (Jean Schopfer, dit – Morges (Suisse), 1868 – Paris, 1931), écrivain. Deux lettres. 1) LAS, monogramme en relief, 19 juillet 1924 ; 1p. in-8° obl.. Il rappelle à son correspondant, un imprimeur probablement, qu’il lui a fait livrer 100 feuilles de papier japon avant-guerre et lui en réclame le montant. – 2) LAS, s.d., au même ;1 p. in-8° obl. Déçu par la somme qu’on lui propose pour son papier japon, il renonce à conclure l’affaire : « cela n’offre pas d’intérêt et il est bien préférable de m’en faire du beau papier à lettres… » 30 €

5.- Fernando ARRABAL (né en 1932 à Mélilla (Maroc)), auteur dramatique et cinéaste espagnol d’expression française. LAS, Paris, 24 mars 1968, à Maurice Escande, administrateur de la Comédie-Française ; 1 p. in-4°, en-tête Christian Bourgois éditeur - LE THEATRE – Cahiers dirigés par Arrabal. Il accepte de lui donner une pièce. « Madame Dominique Rolin m’a dit que vous voudriez une de mes pièces pour la Comédie-Française. J’en suis très fier. Ci-joint mon texte en trois exemplaires. J’attends avec impatience votre opinion… » Il semble que les événements de 68 aient compromis ce projet et qu’il ait fallu attendre 1979 pour qu’une pièce d’Arrabal, la Tour de Babel, fût jouée par les comédiens de l’illustre compagnie. Le souhait de Maurice Escande se réalisait sans lui puisqu’il était mort depuis six ans déjà. 60 €

22.- Paul BONNETAIN (Nîmes, 1859 – Kough (Laos), 1899), journaliste et écrivain. Epreuves des premières pages de l’édition de 1885 de Charlot s’amuse, roman naturaliste sur l’onanisme, les seules qui aient été modifiées ou ajoutées après le procès qui se termina par l’acquittement de Bonnetain. Ces pages comprennent : 1) le faux-titre, la liste des livres du même auteur et le titre. 2) l’avertissement de l’auteur, daté du 1er janvier 1885, certifiant que cette édition est « absolument conforme comme texte aux éditions primitives » et que « les douze passages visés par le Parquet et poursuivis en Cour d’assises ont été guillemetés pour l’édification des lecteurs. » On joint à l’épreuve corrigée le manuscrit signé de ce texte. – 3) les épreuves corrigées des trois pages de l’assignation du 13 décembre 1884 suivies du manuscrit autographe de la note de Bonnetain résumant succinctement l’affaire (18 lignes) : « Charlot s’amuse, écrit en 1881 et 1882, parut à la fin de Janvier 1883, et son auteur n’était encore l’objet d’aucune poursuite, quand, le 6 janvier 1884, il s’embarqua pour le Tonkin. Le parquet ne sortit de sa somnolence que trois ou quatre mois après, à l’époque juste où, correspondant du Figaro en Indochine, M. Paul Bonnetain assistait à la prise de Bac-Minh et de Hong-hoa… » 250 €

63.- Louis de Gonzague FRICK (1883 – 1959), poète. LAS, 2 pp. in-8°, Paris, s.d. cachet postal : 24 avril 1945, à Francis Guex-Gastambide, poète, directeur d’une revue poétique, ami d’Apollinaire et de Jean Paulhan ; env . cons. Il le remercie d’accueillir sa « petite poésie » dans sa revue. « Aurez-vous l’obligeance extrême de m’adresser le numéro qui la comprendre car je vois votre publication chez votre grand ami, monsieur André Salmon — et non ailleurs. » Son mouvement s’amplifie, il est soutenu par la petite revue de combat Quo Vadis — à laquelle collaborait son ami Auriant —. « La satire s’y déroule assez violemment mais l’éloge s’y trouve aussi quand il s’agit d’un fils d’Eurymédate de votre qualité. » Il l’invite d’ailleurs à envoyer ses vers à Jacques-Louis Aubrun, le propriétaire de la revue. Il a écrit la veille « un poème : 5 strophes sur mon ami Antonin Artaud. Je ne vous le destine pas eu égard au peu de place dont vous disposez. J’y évoque nos longs entretiens à la Taverne Gavarny, avant qu’il ne tombât si douloureusement malade. Son dernier séjour chez le docteur Delmas, mort récemment, ne se compare à nul autre. Et gloire à l’âme de ce bon médecin… » Rencontre extraordinaire que celle de ces deux esprits originaux qui eurent ensuite le triste destin commun de connaître les hôpitaux psychiatriques. — On joint : un poème autographe de 4 vers intitulé Orthodoxie. 150 €

68.- Ernest de GENGENBACH (1903-1979), prêtre défroqué et écrivain surréaliste, amant de Lydie Bastien qui lui inspirera l’Expérience démoniaque (Editions de Minuit, 1949). LA la fin manque, 2 pp. in-8° étroit, s.d., écrite recto-verso sur une note du restaurant Pierre, à Paris — « au Rat qui n’est pas mort », est-il précisé — à Pierre Béarn ; 2 trous de classeur. Lettre écrite après un rendez-vous manqué. « Je vous supplie mon pauvre Béarn, quelles que soient vos dispositions psychiques (athéisme, désespoir, hantise de la mort, obsession du suicide ou autre) d’aller le plus tôt possible passer q.ques jours à l’abbaye de Solesmes (Gare Montparnasse. Ligne du Mans et d’Angers. On descend à la gare de Sablé…) Je vous supplie à deux genoux d’aller passer q.ques jours à Solesmes si vous êtes curieux de chose mystique, étrange et merveilleuse… Enfin de toute ma pauvre âme, de toute ma chair effrayée, de tous mes pauvres nerfs en détresse, je vous crie : J’ai la foi au Christ. J’ai la foi au Christ. Je vous livre l’intime de mon âme, sans attitude, sans pose, sans surréalisme. Je ne puis plus rien pour vous après avoir dit cela… » Il termine en évoquant sa situation d’homme traqué, réfugié à Clamart chez un ménage d’artistes russes et le supplie de lui procurer 100 ou 200 francs. 100 €

69.- René GHIL (Tourcoing, 1862 – Niort, 1925), poète. Manuscrit aut. signé deux fois, Réponse à l’Enquête sur Mistral, 1 p. ½ in-4°, s.d. Selon Ghil, « Mistral serait un poète d’unique personnalité si la Bretagne n’avait Brizeux qui, lui aussi, en tendre et orgueilleuse communion donna à sa province, donna à son Peuple leur églogue et leur épopée : Marie, les Bretons. Mais le Maître de Maillane — une puissance d’emportement et de rythme, en plus, — a chanté dans le Verbe de sa race, sentant que l’âme d’un peuple ou de la tribu ne se peut exprimer complète qu’en la langue atavique, Et c’est ainsi que, malgré le persistant souvenir du poète Breton, son œuvre est cependant sans seconde : Mistral n’est pas Mistral, il est l’immortalisation en sa chanson de Geste de tous ceux de son sang mis sur le sol de leurs morts, en une poussière de soleil… » 120 €

76.- Edmond HARAUCOURT (Bourmont (Haute-Marne), 1856 - 1941), écrivain, conservateur du musée de Cluny. LAS, 4 pp. in-8°, Hôtel de Cluny, 17 février 1921, au peintre Auguste Bréal. Haraucourt est dans l’expectative ; il ne sait toujours pas comment il va organiser ses vacances et il demande à son « cher Aousto » de « reprendre encore une fois sa plume agile, et les documenter lui et sa femme Mathilde, avant la décision formelle qui engagera leur court avenir. » Il est déjà acquis que sa femme ne le précèdera pas : « Décidément, elle refuse de me plaquer, tout seul, sans boisson, sans nourriture, sans feu, dans un appartement qui ne serait plus entretenu ; elle préfère attendre et ne partir qu’avec moi. Donc, voilà un point réglé ; nous arriverons ensemble. Quand ? — Je suis tenu jusqu’au 22 mars inclus. J’ai une assemblée à présider, le 18 ; une le 20 ; le 21 banquet Sarah Bernhardt, discours ; 22 règlement des affaires du musée… » Suit une série de dilemmes shakespeariens : aller ou ne pas aller directement à Marseille ? Aller ou ne pas aller à Tarascon, Nîmes et Aigues-Mortes ? — et leur conclusion : « Donc, nous voilà noyés, faute d’eau ou de tuyaux. » Bréal est donc prié de suppléer aux lacunes du guide Joanne : « Pardon si je vous turlupine en vous demandant d’épistoler… » Finalement, l’esprit venant en écrivant chez les écrivains, à peine Haraucourt a-t-il apposé sa signature au bas de sa lettre qu’il peut annoncer en post-scriptum : « J’ai comme une idée que nous renoncerons à Nîmes et Aigues-Mortes, par flemme et désir de sieste. Et à la Corse aussi… » 45 €

108.- Léon LAURENT-PICHAT (né et mort à Paris, 1823-1886), littérateur, publiciste et homme politique. Il fonda la Revue de Paris avec Louis Ulbach et Maxime Du Camp. Note autographe signée sur Charles Monselet, 1 p. in-12, s.d. « M. Monselet, l’un de nos plus spirituels écrivains, qui a dépensé une immense fortune littéraire en agent de poche, l’une des plus vives gloires de Nantes, M. Monselet disait un jour : — On n’a jamais été grand’chose, tant qu’on n’a pas été bœuf gras !... » 30 €



Librairie W. Théry
1 bis, place du Donjon
28800 Alluyes
02 37 47 35 63
williamtheryatwanadoo.fr

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