Une vie de parapluie

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J'avais un parapluie, la mort me l'a ôté. Elle l'a emporté au début de sa carrière ; il était jeune encore, et sans doute un jour il eût ouvert son aile pour s'envoler sur les grandes cimes ; un coup de vent l'a brisé ; il n'est plus. Je me sens attiré par une certaine commisération pour les parapluies ; je les ai beaucoup aimés, et j'ai encore pour eux un faible que je crains. Celui-là m'avait séduit par son élégance, sa taille gracieuse, sa mignonne tête d'ivoire ; ses os étaient menus, allongés, sa chair en poult-de-soie avait des reflets d'un charme infini, et, quand il s'épanouissait, il planait comme un vrai petit bas-bleu à hauteur des fenêtres du rez-de-chaussée. Il n'allait pas jusqu'aux nuages ; il fuyait les ruisseaux ; il avait une affection perverse pour l'humidité, il se laissait suggérer tout ce qu'on voulait, avec un coup de pouce ; ses huit baleines lui permettaient un développement raisonnable (...) (fragment d'"Essai sur le parapluie".)



Marcel SCHWOB Dialogues d'utopie, contes et récits. Edition de Bernard Gauthier. — Toulouse, Ombres, 2001, 158 p. "Petite Collection Ombres", 9 euros 76.

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