Paulin Gagne et Victor Hugo

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Afin de saluer la publication de la riche deuxième livraison des Cahiers de l’Institut international de recherches et d’explorations sur les fous littéraires, de Marc Ways, Marc Décimo, André Stas et consorts, le Préfet maritime vous offre aujourdf’hui une lettre et un poème oubliés du Fou Déclamant le plus célèbre du XIXe siècle, j’ai nommé Paulin Gagne (1808-2008).

Ces pièces inaltérables furent repêchées dans un journal improbable quoique historique. Là, il n’est pas indifférent de constater que le journal en question s’intitulait la Feuille de madame Angot. Preuve que si les canards changent, les fadas restent.

Pour le reste, signalons qu’il manque toujours aux Cahiers de l’Institut deux cent cinquante abonnés pour poursuivre leur route. Un bon geste : faites-vous plaisir !
Ne serait-ce que pour découvrir la Carottéïde de Gagne et le dossier attenant, les écrits de Umberto Eco sur André Blavier, les documents de Nicolas Cirier retrouvé dans le fonds Guillaume-Moussy à Joinville, Maurice de Boeck, Marcel Réja, une foule de notes de lectures, et tutti carotti…



Cahiers de l’Institut international de recherches et d’explorations sur les fous littéraires
N° 2, 2008, 180 p.
Abonnement : 50 euros
I.I.R.E.F.L. : 1, rue Tremblot, 54122 Fontenoy-la-Joûte.

Gagne et Victor Hugo

Nous n’avons point à présenter M. Gagne à nos lecteurs. Il n’est personne qui ne connaisse cet esprit original et plein d’excentrique bon sens.
M. Gagne est un aimable fantaisiste dont les extravagances sont moins extravagantes qu’on veut bien le dire.
L’archi-misanthropo-philanthropophage n’a pas, comme Victor Hugo, « l’Etna sur la poitrine, » mais il a dans le cerveau un Vésuve poétique constamment en ébullition et lançant à propos de tout comme à propos de rien, aux populations ahuries, les laves tumultueuses de son imagination épileptique.
On sait que M. Gagne a juré, sur la tête de son concierge, qu’il ne paraîtrait pas un journal sans qu’il y collaborât.
La Feuille de madame Angot était à peine née que déjà l’auteur de la Guerriade, fidèle à son serment, accourait lui offrir ses souhaits de succès et son archi-cadeau.
Voici l’éblouissante lettre et l’archi-écornifistibulomatagrabolisante poésie que le sublime farceur de la rue Taranne a pris la peine de composer à notre intention en même temps qu’à celle de l’illustre auteur de Marie Tudor.

G. P.



A Monsieur George Petilleau, rédacteur en chef de la Feuille de madame Angot
Souhaits de triomphe
A la spirituelle Feuille de madame Angol.

La Feuille de madame Angot,
Où brillent les vers et la prose.
De l’esprit gagne le gros lot :
Gagne fait son apothéose !

Monsieur,
En vous félicitant de l’apparition flamboyante de la Feuille de madame Angot, à laquelle je souhaite tous les succès qu’elle mérite, j’ai l’honneur de vous adresser deux exemplaires de mon poème intitulé la Guerriade, dont l’enfantement a failli donner la mort à son père délirant ! Vous me ressusciterez de la tombe et vous m’enivrerez de tous les nectars du bonheur, si vous avez l’extrême bienveillance de célébrer, dans votre spirituel journal, la Guerriade, que je mets dans le domaine public des lettres, ce qui donne à tout le monde le droit d’en user comme moi-même ! L’astre du génie doit resplendir pour tous.

Le soleil de l’esprit brille pour tout le monde
Ainsi que le soleil des cieux que Dieu féconde !
J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-dévoué serviteur,

GAGNE, avocat,
Citoyen pantocrate du peuple universel.

Paris, le 10 octobre 1873.

P. S. Veuillez me permettre de vous envoyer le court extrait d’une pièce de vers où les rimes masculines dominent, et détruisent la monotonie de la rime féminine, qui fatigue l’esprit par son “e muet” qui éternue d’une manière agaçante sur les vers masculins ! J’ose affirmer qu’il y a une mine d’or et de diamants dans ma nouvelle poétique.
L’avenir et le salut des poètes est dans une forme de nouveauté et d’originalité.
Du nouveau, du nouveau qui fait tout resplendir,
Des poètes divers, voilà tout l’avenir.
Soyez le soleil levant de la poésie de salut !
Voici l’extrait de ma poésie, dont je retranche la politique :



LE GÉNIE-GAGNE AU GÉNIE-HUGO
L’évacuation des haines par l’amour


Poésie nouvelle où dominent les rimes masculines, et où brillent des réveils avec accompagnement d’instruments, poètorêe ou déclamée par les auteurs eux-mêmes sur tous les théâtres :


Premier réveil ou répétion de vers

“Je ne me trouve pas délivré,” dit Hugo
Qui lance avec l’Etna le fameux “quos ego” !
Gagne répond : afin d’affranchir tout séjour,
Faisons évacuer les haines par l’amour !

O tremblements de terre !
Hugo

O tremblements de l’homme et de la femme en feu !
O tremblements du diable ! O tremblements de Dieu ! O tremblements de France, et du vaste univers !
O tremblements de terre, des cieux et d’enfer !…
Oui, tout tremble et tout voit les laves de l’Etna,
“Ut” infernal qu’au ciel à Dieu Satan corna
Quand il fit retentir ces mots ” non serviam”
Qui lui font, à l’enfer, boire du macadam !…
Le Christ, Dieu de la paix, dit à tous les mortels :
Aimez-vous, mes enfants, par d’amours éternels ;
Mais, Satan à son tour, dit : haïssez-vous tous.
O mortels, que toujours le diable rendra fous !
Et bien loin d’observer les préceptes divins
Qui seuls peuvent unir et sauver nos destins,
Les peuples et les rois, pleins de courroux hideux,
Observent de Satan les ordres odieux !
Les peuples et les rois ont déchaîné la guerre
Qui fait un vil enfer de la coupable terre,
Où, pour faire jaillir les laves des tyrans,
Les têtes des humains deviennent des volcans.
La libération du territoire humain,
L’évacuation de l’infâme venin,
Se feront à l’instant, quand la fraternité
Formera l’océan d’amour et d’unité,
Quand elle fondera le peuple universel
Prenant pour étendard “l’oriflamme arc-en-ciel”.
O grand Victor Hugo, fier Jupiter tonnant,
Qui fait bondir l’Etna par ton vers étonnant,
Afin de ne plus voir le “noir archer de mort”,
Epouvanter partout les peuples en discord,
Devenons, sans retard, grands , “évacuateurs”
De la France et du monde écrasons les malheurs !
Alors nous dompterons tous les vils tremblements
De terre, ciel, enfer et de gouvernement !
Alors, au lieu d’avoir l’Etna sur la poitrine,
Tous les peuples auront l’amour qui les domine ?

Second réveil

“Je ne me trouve pas délivré,” dit Hugo
Qui lance avec l’Etna le fameux “quos ego” !
Gagne répond : afin d’affranchir tout séjour,
Chassons, chassons sans fin la haine par l’amour !

GAGNE




La Feuille de madame Angot, n° 2, dimanche 12 octobre 1875, pp. 1-2.

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