Je suis pour la réouverture (Marthe Richard Prix du Tabou 1951)




“Je suis pour la réouverture”

Marthe Richard (Prix “Tabou” 1951) veut acheter un magasin d’antiquités ou aller à la campagne faire de l’élevage

Les Hygiénistes auront leurs étrennes : c’est - révérence parler - la réouverture des maisons closes. Disons tout au moins que leur réouverture est en bonne voie puisqu’elle a été déclarée souhaitable hier par leur ennemie jurée : Marthe Richard. L’événement mérite une relation fidèle.

Hier, comme chaque année, fut attribué le “Prix du Tabou”. Hier, comme chaque année, on savait que ce prix était attribué d’avance au dernier-né des éditions du Scorpion, en l’occurence Appel des Sexes, de Mme Marthe Richard, de célèbre mémoire.
Ainsi purent délibérer en toute liberté d’esprit les membres du jury (François Chevais, pape du chiffrisme et “plus mauvais comédien de Paris”, Jacques Robert, Yvan Audouard, les dessinateurs Gus et Soro, Maurice Raphaël, Jean-Paul Lacroix, Jean Bouchon et - j’ose à peine le dire - votre serviteur.
Le communiqué publié après les délibérations témoigne de leur extrême sérénité. Le voici : “Sous le signe de Santa Close, à la huitième passe à la suite de quelques claques, le jury du Prix Tabou a couronné Mme Marthe Richard pour son essai sur l’amour à peine sorti des presses : Appel des Sexes.

Intimement associée au sénateur Durand

“Le nom du dénateur Durand, vaillant pionnier de la Réouverture, a été intimement associé, par les membres du jury à celui de la lauréate. Leurs deux manifestes indiquent en effet un retour à la raison que le jury du Prix du Tabou se devait de signaler.”
Là dessus arrivèrent dans la cave où Juliette Greco et Anne-Marie Cazalis prirent leur envol Marthe Richard, la lauréate, et son éditeur, Jean d’Halluin, qui attendaient depuis une heure chez un “chand de vins” voisin de la rue Dauphine. Ils s’embrassèrent devant les photographes, entre deux chambranles d’une porte symboliquement ouverte.

Une “vieille tige”

Après les plaisanteries d’usage des courriéristes (ne pourrait-elle pas refuser son prix ?… ou l’échanger contre le Goncourt de M. Julien Gracq ?), on se mit à table. Et Marthe Richard raconta sa vie.
Chevelure blond platine et Légion d’honneur sur le canapé d’astrakan, elle évoqua le temps où, sous son nom de Marthe Bettenfeld, elle tenait, avec Védrinnes, le manche à balais des “cages à poules” (elle fut la quatrième femme à obtenir son brevet de pilote) et où, en 1913, elle menait en quinze jours, par étapes, son G3 Caudron du Crotoy à Zurich. Elle offrit un penser fugitif au bel attaché naval allemand de l’ambassade madrilène qu’elle conduisit à sa perte en même temps qu’elle réduisait à néant l’offensive sous-marine du Kaiser.

“Ce n’est pas moi !”

Enfin, elle entra dans le vif du sujet : “Il y a malentendu, dit-elle, lorsque l’on m’attribue la fermeture des maisons de tolérance. Je n’ai été qu’un instrument entre les mains de Léo Hamon (aujourd’hui sénateur) et de Mme Lefaucheux, chefs de mon groupe de Résistance. Aujourd’hui, je sens que j’ai eu tort contre tous : qu’on les ouvre puisque tout le monde le veut.
“Cependant, je tiens à dire que je ne cède pas aux menaces. Aux lâches qui m’ont menacée de mort par téléphone, j’ai dit : “Si vous voulez me tuer, tuez-moi, mais ne me téléphonez pas”.

“Je me retire”

“D’ailleurs, je ne veux plus entredre parler de tout ça. Je pars me reposer chez des amis à Vacalaire, et puis je veux me retire, ne plus écrire. Peut-être achèterai-je à Manchester le magasin d’antiquités que l’on me propose. Peut-être ferai-je de l’élevage…”
Tandis que Marthe Richard pointait son regard vers l’avenir, Jean d’Halluin (éditeur du Scorpion) se félicitait de cette annexion qui faisait passer dans son camp cet ancien pilier du Cartel d’Action Morale.
Jean Carlier


Combat, 1er janvier 1952, p. 1 et 3.



Pour en savoir plus :
Elizabeth Coquart Marthe Richard, de la petite à la grande vertu. - Paris, Payot, 2006, 297 pages, 20 euros

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