L’Afrique de Laure Teulade

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Fondée en 2005 et domiciliée à Lyon, Palimpseste est une maison d’édition spécialisée dans la réédition de livres épuisés et rares. Parmi une quinzaine de titres, on trouve notamment dans son catalogue : Le Vice suprême de Joséphin Péladan, Les Forces tumultueuses d’Emile Verhaeren, Dingo d’Octave Mirbeau… Des universitaires, spécialistes de chaque auteur, assurent l’appareil critique.
« L’Afrique », de Laure Teulade, est le 5ème titre de la collection Impressions d’Afrique qui comprend aussi Le Véloce d’Alexandre Dumas, « Nouvelles d’Afrique » de Maupassant… « L’Afrique » est, pour Palimpseste, la première publication d’un auteur contemporain et, pour l’auteur, son premier roman publié.
Jean Cocteau évoquait une « impression d’Afrique » à propos du roman éponyme de Raymond Roussel. C’est aussi ce que pourra ressentir le lecteur en abordant le roman de Laure Teulade car on ne parle pas d’Afrique dans ce livre. On y parle de Jacques, jeune homme à peine sorti de l’adolescence, qui, en sa qualité de coursier pour une mercerie, parcourt au grand air les routes, les chemins et les bois de la région de Troyes. Cet environnement évoque pour lui la savane et la jungle africaines, représentations de l’Afrique nourries par les écrits de Livingstone. Jacques, rêve d’Afrique, certes, mais, disons-le différemment : il vit au quotidien, intérieurement, un rêve d’Afrique. Et cette vie intérieure survit à tout ce à quoi le monde social le contraint. Les deux vies avancent en parallèle, au gré de ses rebondissements professionnels et amoureux, une vie apparente, nourrie de relations familiales ou conflictuelles, et une vie secrète où évolue le désir d’aller vivre en Afrique. Le style indirect libre de l’auteur induit le flou que le passage entre ces deux niveaux de réalité nécessite. De même, l’alternance subtile de descriptions réalistes et fantasmatiques surprend le lecteur et dresse un portrait subtil d’une personnalité qui alterne modalité sociale et aspect intime de l’être. Obligé de développer ses compétences dans la vente de tissus, l’Afrique restera pour Jacques ce « continent noir » toujours lointain, sans cesse fuyant. Son ascension professionnelle, du rayon des flanelles à celui des indiennes, l’éloigne du comptoir africain tant convoité mais les motifs colorés de ces nouveaux tissus l’en rapprochent en secret. « L’Afrique » est le récit d’un éloignement et d’un désir régulièrement réactualisé. Le roman en trois parties occupe trois lieux : Troyes, Saint-Pierre et Miquelon et… l’Afrique. Trois modalités du désir africain et de sa possibilité de réalisation sont confrontés à trois moments de l’histoire de Jacques, assortis de tout ce que le réel tangible apporte comme compensations. Mais l’Afrique revient toujours, comme le retour du refoulé, sous des formes diverses, violentes ou drolatiques, images d’Epinal, clichés savamment décalés.
Le manque originel, dont le désir d’Afrique pourrait être la réitération, reste secret à Jacques. Est-il secret pour l’auteur ? C’est la question que pourrait se poser tout lecteur dans son désir propre d’assouvir ce besoin de lier l’intime biographique à l’écrit. En tout cas, l’enfance de Jacques constitue le hors champ de ce roman ainsi que la réalisation de son rêve. Ira-t-il en Afrique ? L’auteur sait maintenir le suspense sans en faire un principe et nous embarque d’un continent à l’autre au gré de l’évolution sociale et psychique d’un personnage étrange et familier. En effet, Jacques est confronté à l’inquiétante étrangeté (« unheimlich »). Son désir d’Afrique est familier mais, socialement, il est secret, il n’apparaît donc au grand jour que sous des formes inquiétantes (cauchemars, transe…). C’est la caractéristique de l’inquiétante étrangeté : quelque chose de familier à la vie intérieure mais qui se manifeste par surprise dans le réel. Cette mise en scène par Laure Teulade de l’unheimlich suscite chez le lecteur la même expérience au travers de sa lecture.
L’Afrique, un livre sur rien ? Un style flaubertien traversé par la modernité freudienne qui donne envie, une fois la lecture terminée, de revenir au début pour savourer d’une autre façon l’histoire d’une vie simple.


Vincent Courtois

Laure Teulade L'Afrique. - Lyon, Palimpseste, 86 pages, 11 €


Palimpseste
13, rue Paul Bert - 69003 Lyon – 04 78 60 49 24

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