Pohol, histoire de 1829 (V)

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V
Folie

« Vrai Dieu, dit-il, puisque je dois geindre et hurler dans la géhenne éternelle, rions, et rions joyeusement. — Bien fou ! de vouloir commencer mon enfer sur la terre. — De la joie ici, gardons nos larmes pour là bas ! »
Et sa joie vous eût fait mal à voir, tant elle se trouvait gauche, embarrassée et souffrante, sur ce visage austère et pâle ; sur ces lèvres où elle venait s'asseoir, frémissantes encore d'un blasphème.
Savez-vous ce qu'il fit de ses belles soutanes de drap fin ? Des vêtements de dandy. — De ses rabats ? Il les déchira dans ses dents et les jeta à la rue. — De ses trois mille cinq cents francs ? Il s'en fut au Cent-treize, les jeta sur le tapis vert, et s'en revint avec le décuple dans sa poche.
Oh ! vrai, vous ne le reconnaîtriez pas. Sa chevelure noire, et qui tombait naguère inculte sur ses épaules, aujourd'hui se relève sur son front en boucles élégantes ; sa taille haute et cambrée moule un habit d'une coupe parfaite. Il porte des bottes bien luisantes et carrées ; le gilet de salin, le pantalon quasi collant, — voire même le binocle d'or, la canne ou la cravache. Un dandy... un vrai dandy !
Il déjeune au Café Anglais et dîne chez Véry !
Oh ! ne lui parlez pas du passé, ne lui parlez pas de demain... de grâce !... ayez donc pitié de lui ! Laissez-le tournoyer à s'étourdir dans la ronde où l'illusion l'entraîne... Laissez-le, pauvre jeune homme, courir les cafés dorés, les bals éblouissants, les promenades parées... Laissez-le s'enivrer d'harmonie aux Bouffes ou à l'Opéra... et soulever la poudre du bois de Boulogne sous les pieds d'acier de son cheval anglais!
N'est-ce pas assez, lorsqu'il rentre chez lui le matin, à une heure, qu'il trouve à son chevet une noire idée qui l'attend ?


(A suivre.)

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