La Jactance selon Minard

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A ce qu'il semble, la critique qui s'imprime n'a guère fait de progrès ces derniers temps.
Étonnamment, et même très étonnamment... ne sommes-nous donc pas embarqués dans un monde qui progresse, qui avance, qui fait toujours mieux ? Étrange exception que ce champ d'activité rédactionnelle réputé d'intelligence et de savoir, voire d'instinct, qui donne l'impression de patauger dans la convenance et la logorrhée plutôt que de permettre l'illumination des esprits, ou, plus modestement, leur information.
C'est la parution de deux livres de la brillante Céline Minard, So long, Luise et Les Ales qui nous fait nous interroger de la sorte - et songer par devers nous que les lecteurs sont souvent beaucoup plus pertinents que les professionnels du donnage d'avis. Parce que ça ressemble beaucoup à ça : de la tentative de trafic d'influence par des cerveaux mous, et indifférents, au fond, à ce qu'est la littérature.
Pour les avoir lus attentivement, nous savons que ce qui a été signé Macaron et Coussin témoigne d'une incapacité à lire assez dramatique. Et on n'a pas osé faire le tour de la presse nétique... C'est embêtant tout de même quand on est "critique littéraire"'. Cette incapacité est d'autant plus troublante que les livres de Céline Minard sont aussi francs du collier que nets de talent et de problématiques. Comme d'habitude (voyez Bastard Battle, Olimpia ou Le Dernier Monde), on tombe dedans et on court. On est refait, on est eu, on galope, on est stupéfié : elle a osé !

Une fois encore, elle a osé !

Oui, il fallait s'y attendre : Céline Minard ose et c'est le moindre de ses charmes. Ajoutez à cette audace de fictionneuse l'humour, une morgue souriante, une culture étendue, un esprit joueur et le sens combinatoire très développé, vous obtenez des proses ambitieuses, fortes, originales. On ne voit d'ailleurs guère quel autre créateur serait aussi puissamment innovant chez les auteurs français d'aujourd'hui (mais nous sommes prêts à lire tout opus qui nous serait conseillé).

En substance, et techniquement parlant, So long, Luise est un roman sous forme de lettre testamentaire et Les Ales, une "chasse-galerie" (nous allons y revenir). Dans le premier, une vieille écrivain internationale écrit une dernière lettre à son amante où elle éclaire quelques pans obscurs de son existence ignorée, où elle fait le point sur certains épisodes de sa vie, où elle lui rappelle les plus extraordinaires moments qu'elles ont traversés. D'un braquage à un sabbat gastronomico-clastique en pleine nature, on avance de surprise en surprise, d'autant qu'il faut ramper en passant par les tunnels fréquentés par Alice. Y vivent des peuplades souterraines d'origine assurément utopiques dont la narratrice confie avoir pris le commandement par astuce...

Il faut dire qu'elle est rouée, la vieille escroque. Elle a vécu de vols et de combines autant que de droits d'auteur, par jeu et par nécessité de faire bouillir la marmite d'ailleurs - et elle est sacrément fine gueule ! Le récit de ses braquages est tout simplement épatant : elle a mis au point une méthode à elle, nommée "la jactance", un art oratoire (et dépouillatoire) qui consiste à interloquer ses victimes à coup de récit à tendance mythique, grandement fictionnel voire fantastique. C'est, du reste, le coup qu'elle nous a fait à nous aussi, lecteurs que nous sommes, en donnant à ses récits une profondeur "grand large", si l'on ose dire. Car son mode opératoire tout problématique interroge la réalité mais encore la littérature - et c'est cela qui, justement, rend les deux livres particulièrement intéressants. Avec Les Ales, Céline Minard donne à la parole un pouvoir étourdissant, pour ne pas dire chamanique, ravissant, au sens étymologique, subjuguant. Et par ici la monnaie !

Second livre signé Céline Minard de cette étonnante rentrée, Les Ales a été conçu à quatre mains avec l'artiste scomparo. Dans une imbrication subtile avec le roman, c'est une "chasse-galerie" comme vous n'en avez jamais lue, un long fleuve de créatures issues des marais de la Brenne, dans le Centre. On y retrouve cet usage magistral de la parole prenante qui, déjà, donnait le tempo de Bastard Battle et d'Olimpia.

De cet étourdissant spectacle, on a deviné les prémices dans So long, Luise, lorsque les deux amantes visitent les territoires souterrains de leur ermitage. Mais ici, c'est une "jactance" mise en pratique vraiment, et celle-ci nous plonge au cœur de la périlleuse République mystérieuse des elfes, faunes, fées... du pasteur écossais Robert Kirk.

Pour bien faire, il faudrait user de citations pour vous éclairer encore. Nous y reviendrons dans les jours qui viennent. Après tout, nous ne sommes pas limités ici par les bords de la page... Mais vous pouvez aussi filer du côté de la première librairie venue...



(1) Robert Kirk (1641?-1692) République mystérieuse des elfes, faunes, fées et autres semblables. Traduit de l'anglais par Rémy Salvator, P., Bibliothèque de la Haute Science, 1896 ; Courbevoie, Durante, 1998, 22 €


Céline Minard So long, Luise. - Paris, Denoël, 250 pages, 17 €

Céline Minard et scomparo Les Ales. - Paris, Cambourakis, 96 pages, 16 € Parution le 7 septembre.


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