Contre le Léopard de l'Insatisfaction...

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Deux publications mettent à l'honneur les employés de journaux chargés du courrier des lecteurs ; et la seconde nous rappelle à une très récente lecture dont nous voulions vous parler il y a quelque temps déjà.

En effet, l'apparition sur les étals de l'anthologie amusante des phrases poétiques ou abyssales du bas-bleu Emmeline Raymond recopiée par Fabienne Yvert dans La Mode illustrée — où ladite Emmeline, notoire auteuse de La Civilité non puérile, mais honnête (Fimin Didot frères et fils, 1873), née en 1828 à Czernowitz (Bukovine), répandait son immarcescible sagesse aux lectrices pleine d'interrogations (L'Endiguement des renseignements, Attila, 13 €) — nous a renvoyé immédiatement à un très curieux roman de l'Américain Nathanaël West (1903-1940), nom de plume du satiriste et scénariste Nathan Wallenstein Weinstein : Miss Lonelyhearts (Sillage).

Miss Lonelyhearts, c'est le pseudonyme d'un rédacteur de courrier du cœur qui craque : trop de problèmes insolubles à lui soumis, trop d'humanité, trop de médiocrité, trop d'existences horribles lui sapent le moral : Il craque.

Le livre écrit en 1931, en pleine prohibition, est d'un satiriste sans doute (lorsqu'il apostrophe Dieu), il est aussi d'un littérateur audacieux — ses amis l'avait surnommé "Pep" — qui n'hésite guère à couper le fil de récit, à maintenir une tension — très cinématographique sans doute — d'une manière qui n'est pas sans rappeler le film noir des années 1950 ou, parfois, les jeux d'ombre du cinéma expressionniste allemand.

Chère Miss Lonelyhearts des Miss Lonelyhearts,
J'ai vingt-six ans et je suis dans le cirque du journalisme. La vie pour moi est un désert où je me sens très mal. Ni la nourriture, ni l'alcool, ni les femmes ne me donnent de plaisir — et les arts ne sont plus pour moi une source de joie. Lé Léopard de l'Insatisfaction rôde dans les rues de ma ville ; le Lion du Découragement est couché derrière les murs de ma citadelle. Tout n'est que désolation et vexation de l'âme. Je vis un enfer. Comment puis-je ne pas douter, comment puis-je avoir foi dans l'instant et dans l'époque de nous vivons ? Est-il vrai que les plus grands hommes de science croient à nouveau en vous ?
Je lis votre chronique que j'aime beaucoup. Un jour, vous y avez écrit : "Quand le sel a perdu sa saveur, qui en retrouvera le goût ?" La réponse serait-elle : "Nul homme sinon le Sauveur ?"
En vous remerciant à l'avance de me répondre rapidement, je reste votre serviteur.
Un fidèle abonné.

On dirait, pour tout dire, que Nathanaël West est un petit frère de Walter Serner ou de Ribemont-Dessaignes, sans leurs embardées. Son livre est une curiosité sans doute, mais aussi un jalon de l'écriture qui se modernise au début du siècle dernier.

Bref, pour ne pas supporter plus longtemps le Léopard de l'Insatisfaction, lisez Miss Lonelyhearts.


Nathanaël West Miss Lonelyhearts, traduction de Marie Picard. — Paris, Sillage, 128 pages, 9,50 €

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