Campos de Carvolho nous revient

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Une vache au nez subtil est un curieux roman de Campos de Carvalho. Il nous arrive du Brésil trente ans après La Lune vient d'Asie (1976) et La Pluie immobile (1980). Il mérite qu'on y jette un œil pour la folie qui s'y répand.
Sans aller jusqu'à le comparer aux plus dingues des écrits de Franz Hellens, de Walter Serner ou de Ribemont-Dessaignes, il faut admettre que ce roman a avec eux certains points communs. Dans la glissade...
Car La Vache au nez subtil n'est pas un roman de tout repos, ou une croisière en récit plat. C'est tempête chez Campos de Carvalho.

D'en haut, je pouvais observer la tablée, regardez-moi cet air idiot, on dirait un mort, et c'était bien ce qu'il était : pourquoi des lunettes ? Clairement le genre de héros sans héroïsme, une tête sans rien qui la distingue de quoi que ce soit, manquait plus que l'étiquette collée sur le front ; et si ça, c'était un tarin, aucune raison pour qu'il continue à respirer : et bourré, le mec, par-dessus le marché !

Procureur de l’État de São Paulo, Campos de Carvalho n'avait pas choisi de passer inaperçu avec son troisième roman : contre toute précaution mondaine, il y mettait en scène un personnage en roue libre, rescapé de la Première Guerre mondiale rendu à la vie civile, et désertant la raison commune. Au point de fréquenter, en guise de home un cimetière, et en guise de femme la fille bancale et mentalement déficiente du gardien d'iceluy. Epris (?), il va la prendre sur une tombe. De quoi finir au commissariat.
Par certains aspects, avec cette vacherie de vacherie, on n'est pas loin du Jérôme de Jean-Pierre Martinet, du Pétersbourg de Biély, en plus court et en moins poétique sans doute, avec une folle énergie en plus. Le livre reste étrange en diable, glaçant parfois lorsque les images de la guerre percutent les aperçus que le personnage peut encore avoir de la sexualité ou des simples rapports humains. Issu d'un monde sans espoir, le narrateur parle sans frein, raisonne sans raison, hallucine avec les sentiments qu'il parvient non sans mal à éprouver. Ce n'est pas une "gueule cassée", c'est une "âme fêlée" comme on en rencontra tant après l'épisode des tranchées (on en reparlera).
Emprunté à un tableau de Jean Dubuffet, le titre du roman n'est pas la moindre bizarrerie de l'ensemble, mais il n'estompe pas au bout du compte le cas profondément humain et profondément dingue de ce narrateur qui ne pense plus que par miracle, sans se soucier des conventions sociales et des règles qu'il s'agirait de respecter encore : la guerre a tout brûlé.

"Toute cette philosophie pour ça !"




Walter Campos de Carvalho La Vache au nez subtil, traduit du portugais du Brésil par Emmanuel Tugny. — Paris, Léo Scheer, coll. "Laureli", 104 pages, 16 €


A voir ensuite, naturellement, pour vérifier...
La Lune vient d'Asie, traduit du brésilien par Alice Raillard. Préface de Jorge Amado. — Paris, Albin Michel, 1976.
La Pluie immobile, traduction par Alice Raillard. — Paris, Albin Michel, 1980, 160 pages, 6.40 €



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