Naissance du livre de poche


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Une myopie assez peu explicable touche à l'histoire du livre dès lors qu'on parle des livres de poche.
Tous les Bouvard et Pécuchet se croient obligés de le faire exister à partir de la création de la collection "Le Livre de Poche" (marque déposée) par la Librairie générale française, filiale d’Hachette, en 1953.
Pourtant, les seuls précurseurs directs de cette série sont pléthores.
Quant aux grands ancêtres, ils étaient âgés de plusieurs siècles pour certains d'entre eux !
Finalement, il faudrait admettre une fois pour toute que le livre de poche existe depuis que le livre a trouvé sa forme définitive, et que ce format pratique (2) est une déclinaison du codex, rien de mieux. A moins d'apprécier les arguties qui permettent de couper le tranche-fil en quatre, de jouer sur la mercatique oiseuse, et sur la longueur des réseaux de diffusion - débats de cours d'école puisque la "Bibliothèque des chemins de fer" était, là aussi, un produit précurseur en matière de diffusion.
Bref, on ne s'explique toujours pas la répétition cacatoèsque d'une contre-vérité tapageuse : non, le livre de poche n'est pas né en 1953 et un brillant essai d'une véritable historienne du livre fait la clarté sur toute cette histoire... ELle se nomme Isabelle Olivero, son livre Les Trois Révolutions du livre de poche.
Car il y en a plusieurs en effet. L'histoire est longue. Songez un peu : Aldo Manuzio est mort en février 1515, et c'est lui, le propre précepteur des neveux de Pic de La Mirandole, grammairien puis imprimeur-libraire qui fabriqua tout d'abord de petits livres capables de nous accompagner (2). On parle d'éditions aldines, qui ont le mérite d'économiser le papier, denrée rare alors.
Le livre de poche existe donc depuis la fin du XVIe siècle...
Car, au sens propre, un livre de proche est un livre de petit format, point trop lourd, qui se transporte dans une poche. Un calepino imprimé en quelque sorte, catégorie où entrent les minuscules, les nains, tous les petits livres. Au XIXe siècle, on le savait déjà puisqu'on publiait La Revue de poche.
Au sens de collection de petits livres peu chers, il faut parler de Gervais Charpentier (1805-1871), qui a compris que, désormais, "la loi du bon marché est devenue la condition de toute publication". Il confie à l'imprimeur parisien Roulhac la mise en oeuvre d'un projet fou : produire la matière de trois volumes in-octavo avec un papier net dans un nouveau format, dit "format in-18 grand-Jésus vélin" (183/115 mm) qui ressemble à s'y méprendre à nos propre livres de poche... La gestion des blancs est une condition sine qua non : on tasse un peu le texte que l'on peut imprimer jusqu'à 500 pages. Voilà apparaître le livre à 3 francs 50 . La "Bibliothèque Charpentier est lancée en août 1838. Le format est dit "commode, élégant et portatif" obtient lors de l'Exposition 1857 un prix de réalisation technique. La concurrence doit s'aligner : en 1853 la "Bibliothèque des chemins de fer" de Louis Hachette voit le jour, puis, en 1855, la "Collection Michel Lévy" à 1 franc le volume.
Flammarion avait sa collection « Auteurs célèbres » et dans les 1890, la mode du découpage des oeuvres trop longues en plusieurs volumes s'établit (Rouff, etc.) parallèlement aux collections de poche de Guyot, Méricant et Fayard qui y donnaient toutes sortes de livres, y compris pratiques.
Parmi les collections de longue haleine, ou en en série longue, on ne peut manquer Christian Bernahard Tauchnitz, éditeur à Leipzig, qui lance en 1842 "British Authors" puis "Americain Authors" (5400 titres en un siècle, avec une diffusion internationale, hors USA et Commnowealth) jusqu'à 1939. Toujours à Leipzig, Anton Philipp Reclam produit à partir de 1867 l' "Universal Bibliothek (8.000 titres en 1942).
Et puis, et puis...
1900-1910 « Bibliothèque nationale » (Pfluger éditeur, plus de 300 volumes à 25 centimes)
Années 1910 Les Editions Louis Michaud
1915 paraît une première collection hebdomadaire nommée "Le Livre de Poche" (Paris, Jules Tallandier), "La Petite Collection" (qui ne disparaîtra qu'en 1940) donne plus 1100 titres dans des séries variées dont la pagination passe de 160 p. à 64. au fil du temps.
1917 lancement de "Insel Bucherei" (500 titres en 1937)
1920's : La Petite Collection (La Connaissance)
1932 « Le roman du dimanche » (Tallandier, 32 p., environ 70 titres)
1937 « Le Livre d'aventures » (Tallandier, jusqu'en 1942, environ 150 titres)
1935 Penguin Books1939 USA Robert de Graff "Pocket Books"
1945 "Détective club" (éditions Ditis)
1941 "Que sais-je ?"
1944 "Poètes d'aujourd'hui"
Pendant la guerre l'Armed Services Editions (de l'armée américaine) diffuse 123 millions d'exemplaires (le "mass market publishing" est lancé !). Nommons ainsi les précurseurs directs du « Livre de poche », adaptation continentale du « Pocket book » américain : la collection québécoise « Petit format » lancée en 1944.
1949 "Marabout" (Belgique), "Fleuve Noir"
et, finalement, après tout le monde :
1953... "Le Livre de Poche" (le fameux capteur d'appellation)
1954 "Présence du futur"
1955 "La Chouette" (vendue dans les prisunic)
1957 "Microcosme' (Le Seuil)
1958 "J'ai lu" (Flammarion et Ditis)
1962 "Presses Pocket" "10-18", Petite Bibliothèque Payot, IDées (Gallimard)
1963 Médiations
1964 Garnier-Flammarion GF, LIbertés (Pauvert)
1965 IDées-Arts (Gallimard)
1966 Poésie (Gallimard)
1970 Points (Le Seuil)
1971 dictionnaires et encyclopédies Larousse
1972 Folio après dénonciation de l'accord avec Hachette
etc.
A propos de Frédéric Ditis, Gilles Perrault dira : "Personne n'avais jamais osé vendre des livres entre des plaquettes de beurre et des soutiens-gorge" . C'est aussi lui qui embauchera Jacques Sadoul à J'ai lu...
En 1976 : 175 collections sont publiées par 45 éditeurs en France
En 2004 : elles sont... 773 collections par 135 éditeurs
On comprend pourquoi les Italiens ont lancé le livre à "Millelire" pour se démarquer avec des prix de vente extrêmement bas, et cela donne :
1993 : Millelire (Italie) avec son cortège de clones : Thrift Books (Dover, USA), Penguin Classics (60 pence), Mille et une nuits (10 francs d'abord)
C'est amusant : Orwell avait pronostiquait la mort du livre dans les années 1940, il s'est trompé, comme Hubert Damisch, qui stigmatisait en 1964 "la culture de poche" (Le Mercure de France, n° 1213).
(Nous notons au passage que nous avons complètement négligé nos chouchous du Livre Plastic !
Bon, Ita Missa Est et le débat est clos. Sauf qu'en février 2023, une publicité bien rouge paraît dans la brochure des fessionnels de la fession, Livres hebdo (février 2023). Elle nous enjoint de festoyer avec l'actuelle collection "Le Livre de Poche" qui célèbre ses soixante-dix années d'activité.
Mais quel intérêt ?
L'Alamblog ne félicite pas les copieurs non plus que les accapareurs d'appellation.
L'Alamblog lit en revanche l'essai d'Isabelle Olivero et s'en fait le chaud promoteur !
Il n'est pas cher, et il est presque au format de poche et il se promène avec un chouette cahier d'illustrations.



Isabelle Olivero Les Trois Révolutions du livre de poche. - Paris, Presses Universitaires Sorbonne, 2022, 362 pages avec un cahier hors-texte de 16 p., 12,90 €


(1) Pas toujours pour l'imprimeur ou le brocheur qui doit maintenir tout ce petit monde de pages uni.
(2) Nous ne confondrons pas ici "pratique" avec "original", ce serait confondre la nouveauté avec l'intérêt. On a le souvenir, par exemple, pour avoir travaillé à sa diffusion, que les charmées du Serpent à plumes trouvaient son emballage de feuilles A4 (format importées des USA quand notre A5 antérieur faisait très bien la maille et gâchait beaucoup moins de papier) pliées sans brochage sous pochette plastique transparente "terriblement pratique". Ces bonnes dames, qui ne prenaient jamais le métro, n'avaient jamais besoin d'un bras libre pour lire en conservant une station debout précaire. Le livre de poche seul permet à des quantités de métropolitains cet exploit inouï - et quotidien - sans luxation de l'articulation du pouce.


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