Les Dimanches de Jean Dézert

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Parmi les grands livres de la modernité, il est indéniable que certain personnage (masculin) plutôt bureaucratique parfois a fait son trou aux alentours d'une fin de XIXe et d'un début de XXe siècle. Une sorte de figure qui se cherche, dandy un peu ou pas du tout, inutile aussi, néanmoins captivante car révélatrice de ce qu'un changement profond malmenait les cadres sociaux, les usages et les hommes. Et les femmes donc ! Le Jean Dézert de Jean de La Ville de Mirmont (1886-1914), farouche amateur des dimanches et fiancé malheureux de la fille d'un marchand d'objets de pompes funèbres, est bien placé pour le savoir...

Jean Dézert — il ne transige pas avec les traditions — avait sorti de son placard, pour venir faire une demande officielle auprès de M. Barrochet, le chapeau de soie dont il n'use qu'en de grandes circonstances. Si incrédule que son éducation laïque l'ait formé, il se découvrit avant de pénétrer dans la boutique, où s'étageaient en jardins suspendus les diveres catégories d'objets d'art que réclame le culte des morts. Le soleil, astre égalitaire, partageait alors, sans distinction, ses rayons de trois heures de l'après-midi entre les nombreux articles exposés derrière la glace de la devanture. Car on trouvait là (les prix encourageant toutes les bourses) depuis les humbles présents que la piété des indigents suspend aux croix de bois des cimetières suburbains, jusqu'à des emblèmes plus richement oeuvrés, destinés à l'ornementation de ces chapelles funéraires, où les privilégiés peuvent pleurer, à l'abri des intempéries, sur des concessions à perpétuité. L'ensemble scintillait vaguement et semblait se consumer d'un feu obscur, taché seulement, de distance en distance, par la blancheur d'une étiquette.

S'il n'a pas eu la destinée de l'Américain Bartleby (Melville), non plus que celle d'un Oblomov (Gontcharov) ou d'un Croquignole (Charles-Louis Philippe) — et ne parlons mêmes pas de celle des Écornifleurs à la Renard, des paludistes gidiens ou des monologuistes dujardiniens —, Ce Dézert-là reste une figure importante de la modernité avant le déclenchement des opérations de modernisation, si l'on peut dire :

« La fantaisie, ça va bien en dehors des heures de bureau et principalement le dimanche. Le dimanche, c'est toute la vie de Jean Dézert. Il apprécie ce jour que si peu de personnes comprennent.»

A l'heure où disparaissait la civilisation des grands boulevards, Jean Dézert y flânait une dernière fois... Son auteur, Jean de La Ville de Mirmont, appartient avec Jean Arbousset, René Dalize, Max Jacob, Apollinaire, Pergaud, Cendrars et Salmon a la génération qui fut décimée dans les boues. Arbousset, Dalize et La Ville de Mirmont n'en revinrent pas, voilà tout, mais mieux qu'un Baslèvre (Édouard Estaunié), il a connu des rééditions répétées, et on allait même écrire fort nombreuses : La Table ronde, Cent pages, Champ Vallon, Quai Voltaire ou Grasset, Les Dimanches de Jean Dézert sont un véritable classique de la littérature française du siècle dernier. A noter que la récente édition reprend également ses contes, ainsi que les poèmes de L'Horizon chimérique, avec la préface de son ami intime François Mauriac.


Jean de La Ville de Mirmont Les Dimanches de Jean Dezert, suivi de L'horizon chimérique et de contes. Préface de François Mauriac. — Paris, La Table ronde, "La Petite Vermillon", 240 pages, 8,70 €

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