Clubs de l’ancien et du nouveau monde (1912)

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Pour fêter à l'avance la parution d'un inédit somptueux dans la collection l'Alambic, inédité, somptueux et formidable, voici un article de Paul de Mirecourt sur les "Clubs", ces curieux vecteurs de la sociabilité d'autrefois.

Clubs de l’ancien et du nouveau monde

Le scandale policier de New-York fait se porter l'attention du public sur les clubs américains en particuliers et sur tous en général. Paris, comme New-york, a ses cercles et ses tripots. Il n'est pas de mois où la presse ne rende compte d'une descente du commissaire de la brigade spéciale dans quelque club interlope où le jeu est le motif véritable de la réunion.
il est cependant d’autres cercles dont les motifs sont avouables : la nature humaine, plus frivole que sage, détestant la solitude, on fonde des clubs, des cercles, on élabore des statuts — tous les motifs sont bons à des réunions — et des gens ayant les mêmes pensées, les mêmes désir, les mêmes goûts, les m^mes défauts ou les mêmes vertus, se trouvent réunis. En politique chaque parti a son cercle, les provinciaux se retrouvent dans le leur, les amateurs de jambon se réunissent une fois pas an pour manger leur plat préférés, les sourds, les entêtés, les extravagants, les endormis se réunissaient en Italie au dix-huitième siècle en vertu du populaire dicton : « Plus on est de fous, plus on rit. »
Clubs américains
L’Amérique, et les États-Unis en particulier, semble avoir, jusqu'à présent, pour ses clubs et pour ses cercles le monopole de l'excentricité. Il y a quelques années, les femmes américaines médecins, qui sont assez nombreuses, fondèrent un cercle. Il s'agissait de se distinguer des hommes. Elles organisèrent donc un grand banquet où le genre masculin était exclu sans pitié. Ce banquet était le plus original qui soit. Dans la salle, l es murs n'étaient ornés que de squelettes et de bocaux contenant des fœtus ou des débris humains. La table était ornée de guirlandes de fleurs figurant la circulation veineuse et artérielle.
Pour le service, l'argenterie se composait de lancettes, de spatules, de bistouris, de pinces, de sondes. Quant aux bombes glacées, faciles à manipuler, elles affectèrent les formes les plus bizarres des préparations anatomiques.
On affirme que, chaque année, le dîner qui se termine par un De Profundis, chanté en chœur, est des plus gais.
A New-York, il se fonda, il y a de nombreuses années, le cercle des Women-Haters "ennemis des femmes". Les membres ne devaient pas se marier, faisaient vœu de chasteté, juraient de ne pas prendre de domestiques femmes (c'est l'expression employée) et de ne pas recherche la société des femmes. Un seul membre viola ses vœux en vingt ans.
Un autre club était celui de la politesse. Les membres arboraient à leur boutonnière un bouton bleu avec les initiales L. P.
"Place aux dames" était leur devise et ils s'engageaient à céder leurs places des les trains, tramways, omnibus ou endroits publics, aux dames et aux demoiselles. Puis c'est le "Club du silence", fondé par Mrs Issac Rice, qui voulait empêcher le bruit de la rue.
A Vebster (Iowa), en Amérique, se fonda enfin le club de l'Eternelle Jeunesse, qui avait pour but la prolongation de la vie. Y était à l'amende tout membre qui se "laissait aller" à être malade. La première fois, cette s'élevait de un à dix dollars. La deuxième fois, on prononçait l'expulsion temporaire et a troisième fois l'expulsion définitive.
On lit, dans les statuts, cette formule qui ne manque de saveur :
"Tous les membres, au moment de leur réception devront s'engager à soutenir, en vers et contre tous, que la maladie, la vieillesse et la mort ne sont autre chose que de mauvaises habitudes contre lesquelles il faut réagir."
En Turquie.
Dans la collection des firmans, déposés à l'Académie impériale des langues orientales de Vienne, on trouve un document signé et paraphé par El-Hadj-Ali, le vingt-troisième jour de la lune de djémasi-el-ewwel 1216 (1800), qui n'est autre que les statuts de la fameuse corporation des pique-assiettes, légalement reconnue en Turquie.
Il était dit dans ces statuts : "Que les personnes qui prenaient le titre de "parasites" devaient, en entrant chez les grands, baiser le pan de leur robe et s'asseoir sur un petit matelas près de la table à manger. Ils devaient, pendant le repos amuser la société en tenant des propos gais; éviter les expressions triviales et le moindre mot offensant : applaudir avec la plus grande dissimulation tous les discours du maître dlea maison ; manger les restes avec la même propreté que lui; enfin, ne jamais tendre la main vers le plus, même lorsqu'on l'emportait."
En France.
Chez nous, il y eut autrefois bon nombre de ces cercles ou clubs bizarres. A Vichy existe la Société « de l’Araignée dans le plafond ». Henri de Lorrain, comte d’Harcourt, avec quelques viveurs de ses amis, avant fondé la « Confrérie dus Monosyllabes ». Un sobriquet n’ayant qu’une syllabe était donné à chacun des membres. Le fondateur, qui était de forte corpulence, s’appelait : « Rond », Saint-Amand s’appelait « Gros », un autre « Vieux », etc.
Il y a sous Philippe V, la « Ligue des Amants », la Club des « Hommes gras », des « Gratte-sous ». Enfin, le « Club des gobes-mouches », qui sévissait au Pont-Neuf et dont les membres étaient tenus de rapport tous les bruits ridicules de la ville. Le local s’appelait « la Riche » ; le sceau du club était une mouche en relief avec mot « gobe » et cette devise : Quid novi ? Charles Nodier en fut longtemps le président. Presque tous ces clubs ont évidemment disparu : on s’unit maintenant pour des choses plus sérieuses, et aussi, hélas ! pour d’autres moins morales.

Paul de Mirecourt.

Paris-Midi, dimanche 11 août 1912, p. 1.



Illustration du billet : fragment d'une œuvre de scamparo ravi un soir (photographie de Draco Semlich, 2013).

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