Les manuscrits de René Dalize étaient chez Bérès !

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En 1938, André Salmon donne un article à l'hebdomadaire culturel Jean-Jacques au sujet de René Dalize. On y apprend plusieurs choses intéressantes sur l'auteur du Club des neurasthéniques, et en particulier ce qu'il est advenu de ses manuscrits ! (à suivre).

Jour affreux où nous apprises la mort de notre ami René Dalize ! Ce fut par une lettre de l'aspirant Le Roy, jeune poète, chef de section dans un régiment d'infanterie de marche, sous les ordres du chevalier rêne Dupuy des Islettes, l'ancien enseigne de vaisseau René Dupuy, ayant repris du service pour la durée de la campagne, parti lieutenant, blessé une première fois au plateau de Caronne, devenu capitaine faisant fonction de chef de bataillon et, en Champagne, devant la ferme de Cogne-le-Vent ; blessé le matin, pansé sommairement, demeurant à son poste de commandement et tué le soir, la tête écrasée sur une des mitrailleuses dont il passait l'inspection.
L'aspirant Le Roy écrivit à celui d'entre nous dont il possédait, par hasard, l'adresse. Lui-même devait être tué deux jours plus tard.

Le jour fatal que je dis, on donnait au Châtelet, en matinée, c'était en mai 1917, la première de Parade, le ballet conçu par Jean Cocteau, un étonnant Cocteau infirmier, casqué de violet, et conçu pour le génie du musicien, Erik Satie, et le génie du peintre des décors, Pablo Picasso. Ce qui pouvait se rassembler encore tu Tout-Paris d'autrefois, le public des premiers spectacles de Serge de Diaghileff, le public des mystères de Gabriele d'Annunzio était là. Des géants réséda occupaient les galeries, en service commandé, joyeux d'une si plaisante corvée, une "claque" unique, une délégation, de l'importance numérique d'une compagnie, de la brigade russe combattant en Champagne, précisément, là où venait de tomber René Dalize.
L'entracte fut houleux. Des embusqués distingués s'indignaient. Avait-on combattu (sic) pour devoir tolérer des excentricités "si peu françaises" ? L'honnête snob, dont la bonne volonté a servi efficacement, mais oui, les meilleures et les plus hasardeuses de nos causes ripostait bravement. Nous nous empoignions nous-mêmes deux ou trois amis, avec un imbécile quelconque, il se reconnaîtra s'il a quelque mémoire, lorsqu'arriva Guillaume Apollinaire, en uniforme de lieutenant d'infanterie, fier chevalier bleu au font paré de cette couronne de cuir avec un gros cabochon sur sa blessure, sur le tour sanglant d'où avait jailli " la belle Minerve" des Calligrammes :
— Dalize est tué.
On sonnait la fin de l'entr'acte. Atroce minute.
Je revivais l'instant que, revenant d'une imprimerie proche de la gare de l'Est où se faisait le tirage du Festin d'Esope, la petite revue dont nous eûmes besoin pour être nous-mêmes, malgré l'accueil du Mercure de France et de La Plume, nous rencontrâmes René Dalize, sur le boulevard de Sébastopol, à l'angle de la rue de Turbigo. Un incendie lui donnait comme à nous l'occasion de faire le badaud. On ne devait guère se quitter. Guillaume Apollinaire a conté comment, d'enthousiasme, ayant été régalé, une nuit entière, de récits de voyage du marin, je composait pour René Dalize mon odelette du Calumet :

Que tu me plais, René Dalize,''
De si bien aimer les Chinois,
Sages pour qui la moindre noix
Est une énorme friandise...

Naviguant pour quelques années encore, l'enseigne René Dupuy écrivait déjà. IL s'agit choisi ce pseudonyme de Dalize par allusion à des vents favorables. Ainsi signait-il ses articles du Gaulois et du Soleil, journal orléaniste d'avant l'Action Française, et dont le rédacteur était son père, le vieux Charles Dupuy, ancien leader de l'antique Gazette de France où il avait introduit le jeune Charles Maurras, converti par lui, Maurras amenait à son tour Jean Moréas. Démissionnaire, Dalize prit au Soleil une rubrique maritime et, surtout, commença l'oeuvre littéraire interrompue par la mort militaire.
Il est hors de doute que René Dalize fut excité à écrire par "le plus ancien de ses camarades" au collège Saint-Charles de Monaco. Guillaume Apollinaire, dont tous les amis devinrent ceux de Dalize. Mais quels dons !
L'oeuvre est diverse. Cela va de la Littérature des Intoxiqués, dont les Soirées de Paris publièrent des fragments, à cette Ballade du pauvre maccabée (sic) mal enterré, luxueusement éditée par François Bernard, caporal-fourrier dans la compagnie de Dalize, et qui fut trop bien enterrée sous trop de pompe, vraiment funèbre. Mais c'est tous les écrits de mon ami qu'il faudrait mettre au jour, les premiers que je dis et le reste, du Club des Neurasthéniques, curieuse épopée, à la fois confiante et narquoise, de la renaissance physique, composée dans l'enthousiasme pour les méthodes du commandant Hébert, un camarade de promotion, jusqu'à ces ébauches comiques : La Concierge est intoxiquée et, surtout : Le Pensionnaire. Un drame enfin, sur le sujet de l'omnium. René Dalize ne s'était jamais caché de fumer. Il ne se cachait de rien, doué pourtant d'une rare pudeur. Le drame ne vaut pas les comédies et Guillaume Apollinaire a eu raison d'écrire que Dalize aurait connu, en dépit de son voeu initial, la gloire d'un prodigieux auteur comique. Sa voie était là. Ce qu'il laisse en fait de théâtre farce, ce n'est ni du Courteline, ni du Labiche, c'est quelque chose de tout neuf et fondé sur une puissante déformation de l'observation directe. A sa façon, Dalize appartenait bien à cette école dite de la rue Ravignan. René Dalize bloquait le cubisme et notre cubiste; il avait tout de même profité de l'expérience.
C'set Maurice Chevrier, autre disparu et que la guerre mit dix ans à tuer, qui a noté ce don qu'avait Dalize d'atteindre à ce qu'Henri Dagan définissait "le sublime comique" par "un sens rigoureux de l'impropriété des termes". Jusque dans la vie et ses propos courants. En conflit avec un contrôleur de théâtre, tel soir de générale, il appelait l'homme la boîte à sel : "ce boy". Un accident au métro. Ténèbres. Commencement de panique. Dalliez apaise tout en articulant, d'une voix retrouvant la nonchalance créole de ses ancêtres : "La panne, monologue". Puis se tait.
Le défaut de Dalize était celui de Flaubert. Il recommençait toujours. Il se corrigeait sans cesse, pas toujours avec profit. Ainsi trimballa-t-il tous ses manuscrits à la guerre, fourrant dans le fond de sa cantine d'offre jusqu'aux feuilletons découpés du Club des Neurasthéniques, roman primitivement signé Franquevaux, et qu'il voulait refaire, pour le donner en librairie sous le nom de Dalize. La guerre le détournait de cet absurde projet. Elle ui dicta le Journal d'un commandant de compagnie. On en connaît un petit nombre de pages admirables, communiquées en permission, au cours d'un déjeuner chez Baty, le marchand de vins de Montparnasse qui rassembla tous les artistes d'alors. Il y eut lieu de craindre la perte irrémédiable des papiers de Dalize. Or, tout vient de parvenir aux mains, pieuses, d'un libraire distingué, M. Bérès, lequel permettra que des copies utiles soient prises.
Marie Laurencin exposa aux Indépendants un portrait de Dalize, en amiral portugais du seizième siècle. Subtile interprétation de l'exquise gentilhommerie de notre ami perdu ! Perdu ? Je remercie Jean-Jacques de rendre sa chance à l'écrivain dont le nom est gravé en lettres d'or sur un mur du Panthéon, avec les noms de tous ceux dont la voix fut étouffée sous la boue sanglante des tranchées.
André Salmon "René Dalize", Jean-Jacques, littéraire et parisien, 1er janvier 1938, p. 1.
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Dalize précurseur de Jean Tardieu et de Queneau, qui l'eût cru ! Reste que son théâtre a disparu, malheureusement, comme le reste de ses manuscrits, malgré la mention du libraire Bérès, célébrité du métier qui nous permettra peut-être de remonter jusqu'aux documents oubliés, et que nous avons eu la chance d'assouvir l'un des voeux de Dalize : éditer en volume son feuilleton romanesque. Les lecteurs et alamblogonautes qui ont lu Le Club des Neurasthéniques se rendront compte que le projet n'était pas si déraisonnable, n'en déplaise à André Salmon...
Les autres se rendront compte que Salmon dit une grosse bêtise en commençant leur exemplaire du fameux Club des Neurasthéniques !





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René Dalize Le Club des neurasthéniques. Roman de 1912 jusqu'ici inédit en volume. - Talence, L'Arbre vengeur, 333 pages, 20 €

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