Soliloque du bohème qui s'est perdu (Pierre des Ruynes)

squel111.jpg


Soliloque du bohème qui s'est perdu

A mon fidèle ami Henri Jamet

V'la deux heures que je me ballade le long des berges
Je ne sais pas où je vais...
Autrefois, j'avais de bon(s) copains,
Aujourd'hui, ils se cavalent quand ils m'aperçoivent...
Dame, on n'aime guère les purotins !
C'est "très humain" disent les gens biens (sic) pensants.
- Oh ! la chanson des clapotis...
Qui sait... c'est peut-être mes rêves engloutis
qui font ce petit bruit-là !

Ah ! la vie... comme c'est bête !
DIre que moi j'ai été élevé par les curés...
et que j'ai si mal tourné.
Pourquoi donc que je suis né poète ?
Merde ! v'la encore ces cochons de souvenirs qui martèlent ma pauvre tête !
Et oui, les poules qui sont sur le tas,
pour sûr que j'étais un bath môme
avec mes cheveux blonds bouclés
et mes yeux bleus et doux de Celte
déjà malade d'idéal !

J'ai passé mon enfance à l'ombre des cathédrales...
Oh ! mes soirs de rêves extatiques à la pâle clarté des veilleuses...
les soirs où mon âme égrenait le rosaire de mes peines à Notre-Dame la Vierge !
J'étais alors touché par la grâce de Dieu... Bien sûr que j'aurais dû rester comme ça.

Ça me crève le cœur quand je repense à ce temps-là.

Maintenant je suis un type à la manque,
un mec qui ne sait pas y faire.
Si je piquais une tête dans cette eau-là ?
- Tiens, v'là une petite flamme qui dans là-bas.
C'est peut-être un macchabé qui revient...%% Bouh !...
C'est drôle comme ça vous chavire ces machins-là.

Je songe à toi, Léon Deubel (1).
Je songe à toi...
Sûrement que tu as bien fait, mon ami.
- Oh ! s'évader à jamais...
Et dire que moi je n'ai pas le courage de plaquer cette putain de vie !
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
(...)

Pierre des Ruynes


(1) Poète français qui, en 1913, se noya dans la Marne pour échapper à la misère. (NdA.)



Pierre des Ruynes Le Cravacheur de mufles. Préface de Han Ryner. - Paris, La Maison française d'art et d'édition, 1922, "Les Cahiers de la maison française", (imp. G. Boaniche), p. 14-17.

Pierre des Ruynes est le pseudonyme de Pierre Renaud (1894-1965), rédacteur en chef du périodique pour la jeunesse "Le Journal de l'Aventure " et directeur de "Structure, une aventure spirituelle". IL a publié dans les années 1930 plusieurs romans de la collection "Les Bons romans populaires" (Les Éditions Modernes) ou "Les chevaliers de l'aventure" (J. Tallandier).

Sur Pierre des Ruynes, Jean José Marchand donnait en 1993 un article dans la Quinzaine littéraire permettant de fixer certains points, Les recherches de J. J. Marchand apparaissent aussi dans Les ratés de la littérature. Colloque des Invalides (Tusson, Du Lérot, 1999).

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page