Essai de rêve moderne

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Essai de rêve moderne Prix des Treize

Lorsque débordant de ce lyrisme futuriste qui semblait annoncer les Signes contradictoires des faisceaux de Mussolini et de l'étoile rouge de Lénine, signes gémeaux parce que nés de lai même fièvre des inquiétudes actuelles, Marinetti vouait au néant le « passéisme », qui de nous n'a. douté du possible avènement d'une poésie nouvelle ? Elle devait. être. Il n'est d'âge si barbare qui n'ait ses poètes. C'est peut-être même aux âges, prétendus barbares qu'aux entractes de l'action rêve avec plus d'angoisse profonde et de pathétique humanité, l'âme éternelle. Il nous eût suffi, d'ailleurs, d'être sincères, bien aux écoutes de nos propres résonances, pour l'entendre monter des foules compactes et martyrisées par l'accélération du travail, le chant nouveau, rude comme un ahan de musculaire, porteur d'un idéal violent, rêveur, immensément, comme le regard du savant scrutant l'énigme de la matière et des forces. Et nous l'eussions pressenti, cet élan de foi et de révolte, où l'on devine sous la haine des modalités hyper-modernes, quelque chose comme un amour épique.
« Règne du Fer, saison d'orgueil » s'écrie Charles Tillac, si lucidement couronné par les Treize. Oui bien, saison d'ambitieuse misère et de détresse exaltée, — cette détresse que l'on croit nostalgique, et qui est en vérité dynamique, et qui a trouvé ses accents les plus émouvants dans Aux Oiseaux des Iles, de René Bizet, le plus grand poète de l'Aventure, a. dit notre cher Descaves.
Cette aventure, rêvée dans la malédiction éclatante des quais, où craquent les muscles des dockers, au milieu de la cacophonie conradienne où se froissent les chaînes des élévateurs, où siffle l'asthme volontaire des treuils, Charles Tillac la retrouve à son tour et, d'un plectre singulièrement sonore, il en projette vers nous les images énergétiques, à la fois auditives et visuelles :

C'est l'heure où les grands bras des géants, dans les ports,
Soulèvent lentement les wagons et les tonnes,
Et les balancent dans le vide. — Le plus fort
Les élève en tournant, sublime et monotone !
— Les étoiles — micas des cieux aux pierres. d'or —
Reluisent, et la Nuit pour l'Amour se fait bonne,
Que le bras du géant passe toujours et donne
Le vertige aux enfants, et — lent — travaille encor !

Le beau rythme, n'est-ce pas ? rythme heurté, viril, d'une virilité qui n'est ni celle de la Hellas ni celle du Latium, ni celle de Lutèce ou de Phocée, mais celle du Pirée et de la Joliette d'aujourd'hui, celle des usines- effervescentes, de l'Italie moderne et du Paris atroce et splendide du XXe siècle ! Ce rythme, nous avions douté de lui, hier, par lâcheté cérébrale, par une façon de conservatisme sentimental émasculé. Et, pourtant, nous devions d'ores et déjà le pressentir dans certains soirs • des borde de la Seine, rougeoyants comme un gueulard, sur l'occident desquels se découpaient les verrières incendiées du Grand Palais, l'arc tendu du Pont Alexandre, et la Tour Eiffel, l'immense tour arachnéenne qui propage les voix mystérieuses que l'humanité tout entière recueille au loin, si loin, dans le jour spectral, des banquises ou la lumière palpitante des tropiques, et sur le désert humide des océans où, désormais, le piston des machines empêche, d'entendre chanter les Sirènes, retentir les buccins et sonner les cloches des Atlantides et des Ys ensevelies.
Ainsi donc, elle existe, la poésie nouvelle. Et l'inspiration neuve ne chasse point l'autre. Elles se superposent, souvent s'interpénètrent. Le poète d'aujourd'hui greffe le mécanisme sur le vieil arbre élégiaque. Le poète d'hier projette, dans la poussière des limailles du monde mécanisé, tout ce qu'il ne faut pas laisser mourir de tendresse et de chimère. Ensemble, ils se dressent, debout à la proue du. navire Argo, les bras éployés comme les ailes de la Victoire de Samothrace, ces ailes éternellement jeunes dont les siècles n'ont point fatigué l'élan, qui semblent proclamer qu'au-delà de l'étrave il y a dans la candeur des aubes et l'améthyste des crépuscules, le mirage des terres chimériques où l'on ravit les Toisons d'Or, qu'on a toujours, devant-sol, l'Espoir, qu'il faut poursuivre même inattingible, et, comme dit Charles Tillac. :
... veiller, l'âme ouverte aux mystères, veiller !
Vous n'attendez point de moi, je le sais, que je dissèque l'œuvre des poètes, pour vous en dénombrer les organes miraculeux, comme l'entomologiste crucifie lès papillons aux ailes fardées sur ses tables de liège. J'analyserais, un par un, les poèmes de Charles Tillac, de ce frémissant et nerveux "Essaï de Rêve Moderne", que je ne vous convaincrais pas mieux de le lire sans tarder. Ce qui me passionne, moi, c'est de vous crier de toutes mes forces, comme les coureurs antiques, les porteurs de bonnes nouvelles : « Il y a une victoire dans l'air ! » Cette victoire, c'est la conquête d'une inspiration et d'une expression nouvelles. Je pourrais vous expliquer qu'on apprécie dans tel poème — comme Le Chant du Métro, — une sorte de polyphonie poétique jamais entendue, et où, cependant, l'oreille exercée perçoit des. échos de Baudelaire et de Rimbaud, un peu, beaucoup de l'unanimisme de Jules Romains, voire quelque chose du Hugo des "Orientales", le bon, - à travers lesquels Tillac rejoint Jean Royère. Mais, j'aurais fait oeuvre moins utile que de vous révéler l'atmosphère de l'"Essai de Rêve Moderne" qui, par instant, a d'émouvantes douceurs verlainiennes. Car, l'atmosphère, c'est là l'essentiel. On ne lit pas les œuvres des poètes comme les guides Conty. II faut se mettre en état de transe, être soi-même un peu inspiré, pour communier avec eux. J'ai préféré, donc, vous entraîner à l'accélération de ce mètre dynamique, de ce Péan que n'accompagnent point les tambours d'onagre des chasses d'Ovide ou des autres héroïdes de Pindare, mais que scandent les ébranlements des marteaux-pilons qui marquent les heures des peines et des joies dans les halls des usines, cathédrales de l'âge de-V.Acier où les chairs saignent des ultimes géhennes dans des rougeoiements d'autodafé, mais au porche desquelles, prend son essor le rêve démesuré des humanités meilleures

(Car) il viendra, 'le soir d'écoute et d'accalmie !
Savant, jeune, vainqueur de magiques travaux !
Il viendra se poser sur la Muse endormie,
Et la Musc, entr'ouvrant les livres de chimie
Ou de nature, y volera des vers nouveaux.
Bel, avec, dans les yeux, les reflets des vieux glaives,
Il sourira : c'est encor moi... j'étais le Rêve,
Et je suis devenu, sans panache. — l'Acteur... !
Pour que l'acier flamboie, il suffit que je touche
Un peu d'aurore, et que les hauts-fourneaux, ces bouches.
Me donnent le baiser réconciliateur !

Pierre Guitet-Vauquelin





Pour information, Charles Tillac, dont l'oeuvre n'est certainement pas dans le domaine public, est celui qui a écrit dans son poème "L'auteur" :

Nos cris sont des rééditions.


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