La sérénité des jours censément heureux

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On vous avez prévenu : vous allez avoir Audiberti sur l'Alamblog.
Le matin, le soir, la nuit.
Par tous les temps.
Et pour commencer, cet extrait issu de La Forteresse et la marmaille, un recueil d'articles parfois époustouflants, réunis en 1996 par Josiane Fournier pour une très belle collection de poche qui a eu le grand tort de disparaître, L'Ecole des lettres (Le Seuil). Sur papier bible siouplaît.
Outre les figures de Jean Follain, Fargue, Jarry ou Artaud, Jacques Audiberti y donne quelques morceaux délectables sur le métier d'écrivain et ses rapports aux amateurs, les collègues qu'il admire et sa sage et confiante philosophie de l'Histoire... Mais laissons-le s'exprimer lui-même.

Les coups durs qui fabriquent l'Histoire et qui, parfois, jettent par terre des rangées d'hommes et de maisons, ne sont jamais si serrés et si répétés que des îlots de calme ne puissent persister. On était naguère, accoutumé de considérer le Moyen Âge comme un vaste remuement d'incendies et d'estrapades ; on se demandait comment les gens de ce temps pouvaient s'y prendre pour trouver le pacifique loisir de filer leurs vêtements. De même, la Chine, dans les premières années de guerre actuelles, il partit tout de suite qu'elle devenait, dans un grand tralala confus de mitraillades, une terre abîmée de sang et de pagaïe. En fait, de jeunes étudiants chinois n'ont jamais cessé de venir à Paris et d'y recevoir des mandats personnels. L'humanité, cette carcasse en gélatine, ne va pas jusqu'au bout des gestes de son suicide. Bien des privilèges lui furent accordés, sauf celui de se détruire. Les hommes meurent. Elle ne meurt pas.
La Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, demeure hautement fidèle à ce qui peut être considéré comme la sérénité des jours censément heureux. Elle conserve les trésors de la pensée ancienne, toujours jeune. Elle offre toujours des livres à lire.

Ceux qui ont lu un peu Yves Martin ou tel autre de nos contemporains comprendront aisément pourquoi Jacques Audiberti est l'un des plus grands écrivains français du siècle dernier. Et pourquoi sa langue est singulière. Ça ne sera pas révéler un grand secret que de dire qu'il possédait sa propre forge à phrases. On n'a jamais vu un bon ouvrier avec des outils de seconde main. Et c'est pourquoi, peu à peu, l'ombre d'Audiberti grandit jusqu'à estomper les statues de quelques commandeurs — lesquelles s'effritent.


Jacques Audiberti La Forteresse et la marmaille. Postface de Josiane FOurnier. — Paris, Le Seuil, 1996, "L'Ecole des lettres".

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