Cauchemars du livre

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La chronique flâneuse que tient Jean-Paul Louis depuis longtemps vient de s'enrichir d'un nouvel opus - sous papier cristal s'il vous plaît.
Coruscant comme il se doit de la part d'un bibliopole aguerri, et lettré, ce qui n'a jamais été une évidence, son verbe est imprimé sur papier de belle main, illustré lorsqu'il le doit. Célinien plus que célinien (mais on ne sait jamais avec les céliniens), il nous avait déjà emmené sur les plages de Normandie (ou de Bretagne Nord) et nous avait bien amusé de ses piques et sorties moqueuses. Le genre humain, hein, a parfois des allures de langouste ou de concombre des mers.

Un chef de clan ferme la marche, chargé d'un important barda. Un second, retardé, sous un bras un boudin gonflable, sous l'autre parasols et paniers : ce sont là) des employés de bureau devenus chargés de mission, qui rêvent à une direction d'agence. Les vacances seront courtes ! migrants de passage, mais encombrants. Ils signalent leur prise de possession par le carré de serviette, et un paravent planté par ignorance vent debout. Des débutants, il me semble, aucun n'est tatoué et point de chiens avec eux. Le chips industriel met les maxillaires en fonction de broutage.

Sans perdre son goût pour l'estivant comme on voit, surtout s'il est servi à oualpé sur plage, le chroniqueur n'a pas lésiné sur la variété des sujets traités, concentrant néanmoins quelques pages tapées au sujet de Céline (le vieux), d'une robe de chambre historique à lui (elle a été prise en photo, lui dedans), de quelques céliniens, dont un vieil éditeur de chez Gallimard désormais défunt, Jean-Pierre Dauphin (il avait en particulier en charge "les Cahiers de la NRf"), et autres questions pour happy few qui d'ordinaire oisent sans ébranler le peuple. Mais on n'en reste pas là puisque le bretteur Louis s'enquiert aussi du monde comme il va, et en particulier de ces folichones "zones d'activité" que l'on trouvent sises en périphérie des bourgades campagnardes, en particulier à Chillé-les Horizons. Du tout à l'emploi. Ou bien encore des activités estivales (c'est son dada), au point qu'on se demande s'il ne rangerait pas ses crayons à partir du 1er septembre.

En août, au moment des grandes marées où les masses vont gratter le caillou, les binious racailles d'épiciers commémorent leurs ancestrales clowneries, travestis en pignoufs galetteux : chaque semaine au choix, partie géante de boules bretonnes, Gargantua de moules frites, cochons pharmaceutiques grillés, rassemblent discordant de fêtes reconstituées médiévales, chouannes, péquenaudes de la moisson: peuple ! on te montre tout notre intime. Jouis !

Evidemment, l'amour de l'humanité n'est pas ce qui arrête la lecture. C'est bien plutôt le plaisir du sarcasme qui l'entraîne car Jean Paul Louis le manie avec un air désabusé qui paye:Et puis enfin, Proust, Flaubert et Céline - forcément - ramènent à nouveau leur fraise, comme Bouvard et Pécuchet dont les prénoms interrogent.
Enfin, au cœur de notations finales plus courtes, mais variées et parfois étonnantes, Robert Musil et Roger Rudigoz sont mis à leur place, paf. C'est que la littérature est au cœur, et que le cœur a ses raisons que la tête ignore. Qui n'a pas ses lubies ? Nous même, de l'Alamblog, serions mal placé pour contester. D'autant que des vérités, parfois, sortent de la bouche des éditeurs-chroniqueurs au verbe lancé.

Que croyez-vous donc ? tous les écrivains travaillent dans le plus grand désagrément, et le découragement de ne pouvoir aller directement à ce qu'il(s) veulent exprimer. Ou alors, ce ne sont que des faiseurs de dictées, de manuels de lecture, des riens.




Jean Paul Louis "Cauchemars du livre", Le Lérot rêveur, n° 66, aux usines réunies de Tusson, Du Lérot, 88 pages, exemplaire d'épicerie 12 € ; exemplaire grand amateur : 20 €

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