Bals perdus

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En lisant Les Bals de Bruno Testa, on ne peut pas s'empêcher de penser à une chanson que Starshooter chantait en 1978, "Inoxydable". Il y était question, du point de vue de jeunes gars scolarisés en lycée technique, du "week-end où il ne s'est rien passé". Autrement dit : pas de fille, zéro baise. C'est à tout prendre la basse continue du récit de Bruno Testa, un romancier qui s'était fait remarquer avec deux romans publiés chez Quidam il n'y a pas si longtemps, Dépression tropicale et L'Adoption (2004 et 2005).
Contrairement aux personnages chantés par Kent, les personnages de Bruno Testa ne vivent pas du côté de Lyon mais plutôt dans la région de Saint-Étienne, dans le Forez, et ils sont déjà engagés dans la vie active, et en usine d'embouteillage d'eau gazeuse s'il vous plaît. Le paradoxe est plutôt poilant car les gaillards picolent à mort et vivent dans un monde de bras cassés où l'alcoolisme tue de tas de manières différentes, mais curieusement jamais sur la route - pourtant fréquentées par des chauffeurs frisant le coma éthylique.
Goûteux récit de cette vie déchirée entre le temps des virées, celui de la réparation nécessaire et, forcé, celui du travail à l'usine, Les Bals sont un de ces textes qui se lit dans un souffle parce que l'auteur a su y faire passer une électricité bigrement authentique. Pas d'anecdote inventée, on le sent, hormis peut-être ce personnage du "Philosophe des Cités" qui vient conclure les chapitres d'une imparable sentence préfabriquée que l'on a tous entendue un jour où l'autre. Ce qui au fond ajoute encore au charme déjanté de ce récit joyeux qui se clôt, il faut le signaler, sur une petite touche mélancolique néanmoins, comme s'il existait un léger regret de ces dingueries de jeunesse.
Descendant d'immigrés italiens installés dans le Forez, Bruno Testa sait pertinemment ce qu'il raconte si bien : les mélanges d'alcool toxiques, les attouchements pendant le slow, la gueule des filles et les engueulades de la mère, le malaise des gars et la bassine sous le lit. Plus terrible encore, les déplacements fantomatiques des alcolos au bout de leur rouleau. En vrai reporter de ce temps enfui, Testa rameute ses souvenirs d'une manière singulièrement expressive et touchante. De plus, il offre son récit dans une langue formidable, un subtil mélange de français, d'argots divers et de parler gaga, le patois du coin, assorti de cet italien qui nous rappelle que les petits groupes de fêtards se répartissaient par origine ethnique et disposaient d'un vocabulaire permettant de dire "biture" et "cul" avec autant de variété que les Lapons le mot "neige".
Franchement, ce livre est une véritable réussite qui mérite d'entrer dans les annales des fêtards de France. Car, non, il n'y avait pas que les Bains-Douches pour tortiller du croupion. Et les cuites étaient les mêmes.


Bruno Testa Les Bals. - Saint-Étienne, Utopia, 96 pages, 14 €

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