L'esprit et la main

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Evoqué dans l'introduction aux Chroniques de Floréal de Louis Guilloux qui paraissent le mois prochain chez Héros-Limite, Jean-François Louis Merlet est un fantôme persistant de la presse d'avant-guerre. On le trouve dès les premières pages du journal de Guilloux, mais il n'a eu l'heur de n'éveiller aucun intérêt, alors que sa carrière est riche, curieuse, et que sa plume est bonne. L'Alamblog poursuit donc sa campagne de réhabilitationet se permettra donc dans les temps qui viennent de redorer toujours son blason - qui est coloré comme on pourra s'en convaincre.
Sorte de mentor pour le jeune Guilloux, il accueille le journaliste encore un peu vert dans la rédaction de Floréal et l'impressionne. Par son métier sans doute, mais aussi par son destin professionnel qui montre à l'impétrant du monde des lettres que le journalisme procure aussi une cohorte de sans-grades, et que l'activité redoublée ne conduit pas toujours à un succès mérité.
A suivre.



L'esprit et la main

La force des démocraties ne peut résulter d'impulsions irraisonnées et sans lendemain. Elle s'affirme par l'entente complète du cerveau qui dirige et de la main qui tient l'outil.
Les fomenteurs de désordres, qui la plupart pêchent en eau trouble, à, leur seul profit, conduisent les masses vers des destinées de douleur et de misère., et se soucient fort peu de ce que deviendront les hommes sur le chemin qu'ils croyaient être la route de la vérité.
Il faut que le règne des bavards finisse.
Il faut que la leçon des faits profile à tous.
Quelles que soient les hésitations, ,les luttes de clan ou de classe, le peuple de France forme un tout, un bloc soumis à des courants que rien n'endiguera.
C'est la faute des partis extrêmes, die ne pas comprendre la force de cette masse qui a pris conscience d'elle-même, qui s'éduque, se forme à tous les foyers de science et d'art, et bataille pour la progression lente, mais certaine, d'un gouvernement qui assurera l'application des lois sociales, des lois humaines.
Il semble bien aux gens de bon sens et qui mesurent avec justesse, la portée de l'action des chefs, que la révolution est vaine, et que tout est dans révolution.
Que chacun de nous se perfectionne en s'observant.
Je sais bien qu'il faut s'astreindre à un contrôle assez minutieux de soi-même et défricher son esprit comme un jardin souvent négligé. Avant d'ensemencer une terne, nous devons la retourner, la sarcler, la purger des mauvaises herbes. Alors, seulement, nous pourrons y jeter le bon grain qui lèvera pour des moissons fécondes. Or, la tâche négative des idéologues va à rencontre d'une pareille théorie.
Le prêcheur ne s'inquiète pas de l'état des cerveaux ; il sème à tout vent, sans ordre, au hasard de l'inspiration et du moment.
Le résultat est déplorable.
Quel idéal peut poursuivre celui qui croit bonne la leçon donnée ainsi ? Un idéal qui lui paraît le plus conforme à ses désirs immédiats. Et si ces désirs ne se réalisent, pas, ;si le semeur n'a, pas assuré la récolte contre l'orage, si l'orage se déchaîne, que restera-t-il à ceux qui ont fil confiance, ont cru toucher h paradis promis, l'ont entrevu dans un mirage déconcertant. et sont, retombés, lourdement sur la, glèbe il la. rude besogne de chaque jour ?
Pitié, pitié, pour ces hommes abandonnés qui n'ont pas compris qu'il fallait, en eux-mêmes, faire l'entente de l'esprit qui dirige et de la, main qui obéit, mais ne doit pas se soumettre à l'esprit d'autrui ne tombant pas sous leur contrôle.
La main qui tient l'outil garde la fortune d'un peuple. Cette vérité n'a. besoin d'aucun commentaire.
Le jour où la foule ne travaille plus, la misère et tous les fléaux s'installent en maîtres et dévastent tout, pareils aux barbares des premiers âges.
Où sont alors ceux qui ont parlé comme des illuminés ou des inconscients ? Ont-ils jugé la portée, de leur mission dangereuse ? Ont-ils eu le courage de descendre au fond de leurs âmes pour y puiser la force de renoncer à leur pernicieuse mission ?
Non ! Les idéologues s'en vont, d'ordinaire, vers des pays plus apaisés, sous des ciels plus cléments et fuient la tempête.
Après l'horrible guerre qui a couvert le monde de deuils et de douleur nous assistons à des convulsions, à des luttes, desquelles sortira, nous voulons l'espérer, une humanité sinon meilleure, du moins plus soucieuse de vérité et de réalisations que de promesses et de rêves, pareils à. ces bulles de savon, chatoyantes de couleur et d'azur, et qui. crèvent au moindre souffle.
Relisez les Mauvais Bergers, de Mirbeau. qui fut toujours torturé par les idées de justice et de pitié ; lisez Reclus ; lisez tous ceux qui ont cherché le chemin de Damas des foules dont l'espérance est la seule fortune.
Rappelons-nous que l'humanité n'est qu'un vaste creuset et que la, déclaration de Lavoisier s'applique à nos lois d'évolution et de raison pure ! « Rien ne se crée, rien ne se détruit, tout se transforme ».
Ceux qui parlent et soulèvent l'enthousiasme doivent limiter leurs propos à l'intellectualité des auditeurs. Là aussi, rien ne se crée ou ne se détruit — tout se transforme.
Ceux qui vendent du vent ne se chargent pas de lourdes marchandises. Leur bagage est léger.
Et le vieux proverbe trouve ici une affirmation directe : « Qui sème le vent récolte la tempête ».
Et la. tempête brise les vaisseaux sur les côtes, ravage le champ du paysan, détruit l'atelier et l'usine.
On ne bâtit pas dans la révolte et la tourmente.

J.-F.-Louis Merlet
(Floréal, 21 avril 1923)

Et bientôt Louis Guilloux Chroniques de Floréal. Edition établie et présentée par le Préfet maritime, avec de nombreuses lino de Raymond Cazanave. - Genève, Héros-Limite, 20 août 2018, 224 pages.


Prochainement Jean-François Louis Merlet, sur l'Alamblog et ailleurs...

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