Robert de Bédarieux, poète malchance

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La grande pitié d'un poète de France

La grande pitié des écrivains de France !

N'est-ce pas le titre d'une des dernières enquêtes de M. Gaston Picard ?
Nombreuses furent les réponses qui dévoilèrent la misère profonde de ceux qui ont la redoutable mission de répandre la pensée humaine. Mais qui sait combien d'exemples restèrent dans l'ombre, combien de voix se turent, combien d'amertume parut sur de hautains visages qui dédaignaient d'étaler leur souffrance ?
On vient d'attirer mon attention sur un cas particulièrement douloureux.
A Dijon, 19, rue du Bourg, est un marchand forain. Cet homme, qui possède femme et enfant, équilibre fort difficilement son budget. Il y a quelque temps, profitant de son inexpérience pour les affaires, un huissier lui fit reconnaître quelques dettes contractées autrefois par son père. Aujourd'hui, le malheureux est menacé d'une saisie.
Or ce marchand forain, que la misère guette, ce pauvre hère qui ne saura bientôt plus où abriter sa famille, n'est autre que Robert de Bédarieux, l'auteur des « Voix Humaines ».
Poète à l'inspiration nombreuse dont la forme atteint souvent au sublime, écrivain au rare talent, artiste à la sensibilité profonde, penseur aux idées fortes, il est menacé par le plus complet dénuement.
A trente-sept ans, après des années de labeur acharné pour gagner sa vie et pour satisfaire à sa vocation, il se trouve en face de son œuvre, déjà riche, mais non exploitée. Il n'a pas moins de 13 volumes de vers et presque autant de manuscrits en prose.
Il trouva trois éditeurs. Le premier a cessé son commerce, le deuxième est mort fou, le troisième a fait faillite après lui avoir imprimé un volume de vers et un roman qu'il n'eut pas le temps de lancer avant la catastrophe.
Cet acharnement du malheur, s'il, n'a pas tari la source d'inspiration du poète, lui a retiré toute foi en la gloire, tout espoir en la réussite.
Pourtant, l'éditeur qui saurait priser la valeur de cette œuvre, ferait une bonne affaire en l'imprimant.
D'autant que l'auteur n'est pas un inconnu. Quelques lettrés eurent le délicat plaisir de goûter la primeur de ce talent, et purent apprécier la valeur du Blé Rouge (poèmes), des Ailes qui s'ouvrent (poèmes), ou des Fauves (roman) Tous admirèrent cette force neuve, mais faute d'éditeur, leurs éloges furent vains.
Voici quelques avis recueillis parmi les initiés : Ceci du critique suisse Louis Forestier : « On y rencontre des vers sublimes. ce n'est pas un livre à lire, mais à relire ». Celui du critique de la Tribune de Genève, Léon Dunand : « Le poète, dont nous admirons l'oeuvre aujourd'hui, s'est dégagé de toute influence et s'en va seul vers un sublime idéal, et voilà sa plus grande gloire. Il s'exile hautain dans la patrie des idées. » Celui de Jean Psychari : « Robert de Bédarieux promet et tient beaucoup. » Celui du grand publiciste et tribun A. d'Atri : « Il a su exprimer tous les sentiments de son âme dans une forme poétique vraiment admirable. » Celui de Elie Moroy : '« II jette un scintillement inconnu et splendide sur l'horizon littéraire. » Il faudrait en citer d'autres, celui de Barbusse même, celui de Henri de Régnier, de Louis Payen, de Camille Le Senne, etc. ou l'appréciation du critique brésilien Tolomei junior dans "La Lanterna", sur « Les Fauves » : « Ce vibrant roman est sans précédent dans notre littérature.»
Et cependant, parce qu'il n'est pas un homme d'affaires, parce qu'il ignore les intrigues, parce qu'il est timide comme tous les vrais artistes, demain peut-être, chassé de l'humble retraite où péniblement il gagnait le pain que sa plume n'avait pu lui procurer, il se trouvera livré, ainsi que les siens, à la pire misère.
Il est impossible qu'à notre époque un talent reste à ce point ignoré. De bonnes volontés, doublées d'une curiosité compréhensive, se lèveront certainement pour secourir l'homme et répandre l'oeuvre.
Dès qu'un peu de lumière sera tombée sur les vers et les romans de Robert de Bédarieux, toute l'élite saluera ce nouveau venu.
L'Histoire de la pensée humaine comprendra un poète et un romancier de plus, tandis que la misère aura un écrivain de moins à supplicier.

Marthe Maldidier




Le Rappel, 1er décembre 1925


Nota bene : Son fils Gérard sera quelques années plus tard le fameux René Tabard du Zéro de conduite de Jean Vigo, le môme qui tient tête à Louis de Gonzague Frick (1933).

Illustration du billet : Buste de R. de B. par E. Cavacos, photo Pierre Marais

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