Le traducteur de l'espagnol Guillaume Contré s'essaye à la fiction. Tout en aporie et redondance, son Discernement met en scène un Frédéric perplexe au coeur de la ville.
Plus ou moins concerné par son environnement - plutôt moins que plus -, il fréquente des bars, commande des cafés, avec ou sans crème, mange des croissants sans goût, croise des chiens et des piétons, les uns allant avec les autres quelquefois, dans des rues disposant de trottoirs et de trottoirs d'en face. Et puis Frédéric a aussi des interrogations. Ou des réflexions. Ou pas. Et puis qu'importe ?
Naturellement inspiré par les grands rénovateurs de la littérature latina (on pense à Plop de Rafael Pineo et à Pablo Katchadjan), ces petits enfants de Beckett, arrière-petits enfants de L'Ecornifleur et du narrateur de Paludes, Contré fournit avec son personnage principal un frère aux plus silencieux des grands personnages tutélaires de la littérature d'autrefois. Lesquels se seraient vêtus d'une nappe sur laquelle beaucoup de la vie glisse.
Ce croissant était une arnaque. Il te promettait quelque chose qu'il ne te donnait pas. Saveur, texture... Mais tout n'était-il pas comme cela dans la vie ? Cette pensée le déprima, il essaya alors de l'effacer. Sans y parvenir. La pensée s'acharnait, refusait de partir, insistait : la vie est une succession de déceptions, une suite de mirages. Face à un tel navet - la vie est un navet, pensait-t-il, satisfait de sa petite phrase qui sonnait comme un slogan - le mieux, c'était de fermer les yeux. Ce qu'il fit. Mais, même dans ces conditions, l'absence de saveur du croissant était toujours là. Quoi, alors ? Alors, rien. Il ouvrit les yeux. Au même instant, pas une seconde avant, pas une seconde après, à l'instant exact où il ouvrit les yeux, le serveur sans tablier qui avait plutôt une tête de client lui apporta de la confiture."
Une curiosité.
Guillaume Contré Discernement. - Louise Bottu, 2018, 118 pages, 14 €