Vernissage Picabia

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Autour du dadaïsme
Le vernissage Francis Picabia

Lorsqu'on est invité par Francis Picabia à une cérémonie quelconque, on ne s'y rend pas sans urne certaine appréhension !
Ce fut mon cas avant-hier soir, lorsque je me présentai à la porte de la Galerie Povolosky, 13, rue Bonaparte. Mais l'accueil charmant qui est fait à l'invité par M. Povolosky, le maître de céans, par Picabia lui-même, par Tristan Tzara et par tous les plus farouches dadaïstes, fait fuir toutes les terreurs que l'on a apportées avec soi. On. se sent immédiatement à l'aise, et l'on retrouve parmi eux l'atmosphère si agréable des ateliers d'artistes.
Les tableaux de Picabia qui sont exposés dans la première salle sont dignes de nos plus érudits architectes. Ils sont composés de cylindres, de .rouages, de bielles, de cuves. L'on se croit en présence de la coupe d'une locomotive, et l'on est tout surpris de lire au bas de l'œuvre : L'Enfant carburateur...
Un autre tableau, construit sur le même modèle que le précédent porte comme indication : Le Saint des Saints, et Picabia ajoute en dessous: C'est de moi qu'il s'agit dans ce... portrait !... »
Un autre, identique comme construction, mais plus extravagant encore s'intitule modestement : Petite solitude au milieu des montagnes !
On passe ensuite dans l'autre salle, et on se trouve en présence d'une trentaine d'oeuvres qui datent d'une vingtaine d'années environ. C'est la première manière de Picabia. Ses études de femmes espagnoles sont tout à fait remarquables. La couleur a des oppositions curieuses. Il a au plus haut degré le sens de l'har- monie.
Les invités arrivent peu à peu. On voit luire dans leurs yeux une curiosité, qui s'efface devant les sourires ironiques de Tzara et de Cocteau.
Tout à coup, au milieu des costumes vestons, des smokings, et manteaux de fourrures, surfissent quelques personnages déguisés en Peaux-Rouges. Ceux qui ne lies connaissent pas s'interrogent, s'informent. C'est Raymond Duncan et sa tribu.
La visite est terminée et tout le monde attend la partie musicale.
Dans la salle d'entrée affecte à la librairie, Jean Cocteau, derrière un comptoir, s'est installé devant un jazz-band infernal. Il a l'air grave et digne d'un chef d'orchestre de l'Opéra, Il fait un signe et tout à coup, un vacarme assourdissant emplit la salle. Le piano, que tiennent Aude et Francis Poulenc, et le tambour, la grosse caisse, les cymbales, les castagnettes, le claqson, le mirliton et les verres, que manie J. Cocteau, tout cet abracadrant mélange musical, remarquablement conduit par le jeune auteur du Bœuf sur le Toit, fait trépigner l'assistance pendant que Tristan Tzara s'installe sur le comptoir et prépare sa conférence. Il lève la main, la musique s'arrête, et au milieu d'un silence profond, ce grand pince-sans-rire se met à nous débiter, avec des termes d'une incohérence folle, une causerie sur l'Amour faible et l'Amour amer, conférence tellement intraduisible, qu'il ne m'en est resté en mémoire qu'une phrase, approuvée du reste à l'unanimité par l'assistance, et qui est celle-ci : « Le Dadaïsme travaille à rendre les gens idiots !... »
Sa conférence fut hachée, toutes les deux minutes, par le vacarme assourdissant du Jazz-band. Il termina sa causerie par quelques phrases biscornues sur l'amour, les dadas, le public et sur lui, et fut longuement applaudi.
Le jazz-band continua à se faire entendre, puis, croyant la fête terminée, la plupart des assistants s'en allèrent.
Seuls quelques-Initiés restèrent et vers 11 heures, parurent des bouteilles de wisky, des orangeades-citronades et des petits gâteaux. On dansa.
A la sortie des théâtres, une vingtaine de personnes arrivèrent, et prirent part à la fête qui dura deux heures du matin.


Comoedia, 12 décembre 1920

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