Une brochette de poètes

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Nous ne bouderons pas notre plaisir : c'est un délicieux florilège illustré que ces Aventures du Poète rassemblées par Grégory Haleux, meneur des éditions L'Ethernité comme il fut le coanimateur des éditions Cynthia 3000.
Ponctionnés dans la presse et dans les recueils de récits des années 1880-1930 les textes - et vignettes - qu'il a réunis ici témoignent de la formidable source d'inspiration que furent, pour les prosateurs, les poètes de cette époque bénie des dieux de l'écrit. L'industrialisation de la papeterie et de l'imprimerie aura valu au monde une avalanche de littératures variées qui venait boucher les colonnes vides de la presse avide, et le malheureux poète, bien malheureux mais parfois aussi très horripilant, fit les frais du commerce des nouvelles fraîches et moins fraîches.
Avec son allure volontiers "lyrique" (chapeau à larges bords, capelines, noeuds folichons, pilosités et chevelures libres), le poète, qu'il fut de province ou de capitale, suscita l'intérêt du chroniqueur et du plumitif pour la bonne raison qu'il était un sujet toujours renouvelé, toujours amusant et digne d'exciter à chacune de ses sorties l'intérêt. D'autant qu'il était toujours vecteur de leçons nettes, de moralités légendaires, de tableautins à l'eau-forte pris le vif. Et l'on ne se fit pas prier pour se lancer en outre dans le pur débinage. C'est de bonne guerre : aux poètes la gloire mais aussi ses schrapnels.
Pour tout dire, il n'est quasiment pas de recueil de nouvelles au cours du XIXe siècle qui ne possède son personnage de poète (maudit ou non), sorte de figurant inévitable, caractère polytypé, malléable et jubilatoire bon à tous les usages. Bon ou piètre, impérial ou miséreux, on le trouve jusqu'au pied du moulin ou de l'olivier de Daudet et consorts sous les espèces d'un fameux sous-préfet aux champs.
De fait, le poète est un matériau à mémoire de forme : on y revient toujours puisque les lecteurs l'aiment et il a à peu près toujours les mêmes options : un brin allumé, éthéré, souvent vaniteux, parfois à côté de la plaque et quelquefois même tout à fait dingue, quoi qu'il lui arrive souvent de séduire les dames malgré son aspect vétuste et poussiéreux, et, plus généralement, d'attirer la purée. On n'a guère de doute, alors, sur les capacités folâtres du poète et de la poétesse. (On n'en dirait pas autant aujourd'hui où ils-elles nous paraissent plutôt convenus, beaucoup plus ternes, techniciens, positionnés pour tout dire.) Il faut relire à ce propos Les Aventures d'un poète de Jean Rameau (Albin Michel, 1927) pour constater qu'on pourrait réitérer sa démonstration par l'absurde, celle qu'il tente avec son Frédéric Matabiau, lequel, abonné aux succès de notoriété de tous ordres, finit par trouver le silence et la paix en écrivant : elle a toujours tout son sens puisque écrire équivaut, pour la plupart de nos contemporains, à la vaine action.

"En effet, personne ne parla plus de Matabiau"
"Il avait écrit un chef d'oeuvre".

Point trop de chefs d'oeuvres dans le florilège d'Haleux en revanche, beaucoup plus de désillusions et de songes-creux chez les métromanes qui distrayent le peuple depuis qu'existe le Verbe. Relisons Le Mauvais Livre de l'immense Jules Renard, relisons les chroniques d'Alphonse Allais, de George Auriol et de Gabriel de Lautrec, on s'aperçoit que le poète est avec le cocu, le bourgeois ridicule et l'épouse infidèle le personnage le plus représenté par les créateurs de ces temps. Aujourd'hui, il serait informaticien, et Houellebecq nous donne encore raison.
Faute de pouvoir citer tous les sportifs du vers réunis par Grégory Haleux, il faudrait nommer tout de même Yann Hapak-Homluy - dont on ne trouvera pas un seul équivalent, forcément -, Adrien Dément, Agénor Balancier, tandis que la présence de Camus, Ponge et Césaire nous laisse un doute tout à coup. Sans parler de l'"affolée de la littérature dernier cri" qui nous rappelle quelque chose. Mais quoi... Bast, passons, pénétrons "Dans un crâne" pour voir ce qu'il s'y passe lorsque l'inspiration y descend. Qu'elles sont donc sombres, parfois, ces caves...
On voudrait pouvoir citer cent paragraphes, dix muses et ce piqué de Morisot attaqué par "la tarentule littéraire". Impossible ici. Contentons-nous de conseiller d'aborder l'aréopage par la célèbre "Manufacture des sonnets" de George Auriol célébrée déjà par François Caradec, parce qu'on touche là à l'inévitable, à la terrible mais prophétique rencontre de la poésie et de la publicité qui conduit de temps à autres à la gloire. Et voici ce que cela donne dans une autre machine du génial Auriol :

Salvator donc était arrivé, et, bientôt, il ne fut plus question que de lui dans les salons. Ses délicieuses attitudes, sa façon vraiment nouvelle de s'accouder aux cheminées, ou de s'incliner sur l'ébène des Ehrard, fut copiée par maints et maintes - et nul ne fut indifférent aux bouts carrés de ses souliers non pareils."

Point besoin de chercher trop longtemps l'autre intérêt du recueil - le premier est évidemment le vêtir poète : les historiens de la littérature vont trouver en ses pages, masquées mais reconnaissables, toutes les figures qui firent les beaux jours de la vie culturelle françaises d'un demi-siècle profus, divertissant et parfois assez impressionnant. Du haut de ces quelques décennies, au milieu des mânes de Foujita, Richepin, Moréas, Fort ou Giacometti, un kaléidoscope moqueur vous contemple.
Tachons à notre tour de trouver une nouvelle façon de nous accouder aux radiateurs de la mondanité.



Collectif Les Aventures du poète. Cinquante contes choisis et présentés par Grégory Haleux . - Châlons-en-Champagne, L'Ethernité, 284 pages, 24 €

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