Le Barnum de Virginie (II)

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Nous avions promis de revenir sur le livre délicieux que propose Virginie Symaniec aux éditions Signes et Balises : Barnum.
Nous l’avions indiqué déjà mais il convient de le répéter ; c’est sur les ruines de ses ambitions personnelles à l’université — institution qui adore le travail gratuit des plus faibles de ces agents —que Virginie Symaniec a opté pour ce qu’elle imaginait pouvoir le mieux faire pour vivre : éditer des livres.
Depuis un peu plus d’un lustre, elle poursuit son activité dans la grande banlieue parisienne en mettant au point une réflexion personnelle et un dispositif de vente qui nous ramène au colportage d'antan.
Elle n’est du reste pas la seule à pratiquer ces tours de France de la vente à l’air libre dans les marchés, salons, manifestations publiques de toutes sortes par grands vents et soleils de plomb, quoi qu’il arrive. L’Atelier du Gué, Jacques Brémond et bien d’autres ont usé leurs pneus sur les routes pour vendre leur production éditoriale.
Ce n’est évidemment pas comme ça qu’elle va rencontrer les « décideurs » du milieu, non plus que les influenceurs et influenceuses à tronches de clous et autres pignoufs médiatisés. N’empêche, Virgine Symaniec rencontre des gens et, puissance du discours, parvient à vendre des livres russes sur des salons de petites villes françaises entre saucissons landais et miel de sapin.
Son expérience, douloureuse souvent, ce qu’elle cache pudiquement, elle a choisi de la raconter sur le blog du site de ses éditions et Anne-Laure Brisac, éditrice à l’enseigne de Signes et Balises y a trouvé du grain à moudre. Le propos de Virginie l’a captivé - et il y a de quoi, on va voir ça - elle a décidé d’en faire un livre, ce rouge Barnum que vous vous devez d’avoir lu si vous souhaitez parler un jour d’édition en public.
Ce ne sont pas des propos en l’air : Virginie Symaniec est une femme volontaire et pudique, on l’a dit, mais elle est aussi extrêmement intelligente et dispose, comme souvent les gens brillants, d’un esprit terriblement drôle. Voilà pourquoi son livre est délicieux : à l’instar de Benjamin Franklin expliquant à l’aide de son Bonhomme RIchard l’économie politique à tout un chacun, et on insiste sur cette comparaison, la meneuse des éditions Le Ver à soie nous explique par l’exemple la vérité d’un secteur économique basé sur une escroquerie fondamentale. Le mot est utilisé, et à bon escient, en ses pages.
On vous laisse découvrir le détail des aberrations économiques de ce secteur si prisé, si élégant, si comme il faut — dès lors qu’on n’a pas à en vivre, ou qu’on l’habite à l’un de ses prestigieux postes dominants.
Hypocrisie, esprit de rapine, de lucre, exercice impuni du rapt et de l’escroquerie organisée, misogynie généralisée, mépris de classe et on en passe, Barnum n’est pas un vain titre. Lorsqu’on saura tous bien que le propriétaire du camion qui transporte les livres touche plus (à l’aller et au retour) que l’auteur des dits livres et que les organismes de diffusion — fournisseurs de service des éditeurs — ont tout intérêt à leur échec pour prospérer, on comprend qu’il y a quelque chose de pourri dans le secteur de l’édition française.
Mais, naturellement, tout cela en tout bien tout honneur, et avec un sourire qui vous en tartine des couches.
Le plus charmant chez Virginie Symaniec est de nous expliquer tout cela — qui préexiste depuis des dizaines d’années — avec humour et légèreté, quelques moments d’abattement, certes, et on les comprend bien, mais une énergie profonde, qui mérite d’être saluée. Peut-être nous expliquera-t-elle dans un deuxième volume comment les grands groupes prennent sous leurs ailes de diffuseurs (qu’ils sont aussi, les malins) de petites structures éditoriales pour se les offrir dès lors que leurs équipes commerciales ont plombé les résultats des petites maisons en question.
Confrontée à ce milieu capitaliste qu’elle a compris très vite et qu’elle prétend contourner en n'y mettant pas la main, Virginie Symaniec peut décemment devenir le porte-flamme de tous les jeunes qui veulent vivre autrement, travailler autrement, réfléchir autrement et ne pas se laisser déposséder du fruit de leur travail.
Ici, sur notre île, on a fait un immense feu sur la plage pour fêter la parution de Barnum et louer Virginie Symaniec, éditrice lucide et qui ose braver le milieu en ne suivant pas ses usages. Un seul mot : Chapeau !
Aussi, amis Alamblogonautes, soyez choux, faites un geste, achetez un livre des éditions Ver à Soie (nous vous en conseillerons quelques-uns dans les temps qui viennent si vous nous le demandez — nous avons commencé par acquérir la délicieuse histoire d’une linguiste en Ukraine, Vala L. Volkina, ça paye) et pour montrer que vous avez compris ce qu’est la vraie France qui se lève tôt, travaille, bosse, carbure, mouille la chemise et innove, préoccupez-vous des vrais indépendants et des petits qui osent. Lisez aussi la revue Brèves (achetez-la pour commencer), lisez Barnum de Virginie Symaniec, ce sont les publications du moment qui militent pour un autre monde.



__Nous allons nous répéter, mais Barnum (Signes et Balises), Femmes Animales (Grands Champs) et M. Tristecon, chef d'entreprise (L'Arbre Vengeur) sont les trois cadeaux de Noël qui vous mettront diablement en valeur cette année.
De Mamie au petit neveu qui adore lire depuis des années, faites-vous mousser : offrez-leur les cadeaux qui les éblouiront.
De la littérature, toujours de la littérature, et dans de bons livres.__



Virginie Symaniec Barnum. - P., Signes et Balises, 228 pages, 18 €



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